Chapitre 13 – Prakṛti-Puruṣa-Viveka-Yoga (Le Champ et le Connaisseur du Champ)– versets 1 à 3 – Gaëtan

Certains commentateurs de la Gīta, dont Swami Chinmayananda, considèrent que les 18 chapitres qui la composent peuvent être regroupés en trois parties, composée chacune de six chapitres ; chacune de ces parties renverrait à un mot de l’aphorisme védique « TAT TVAM ASI » qu’on pourrait traduire par « Tu es Cela » qui se comprend comme : « toi le Soi tu es depuis toujours et resteras, le Tout ».

Les six premiers chapitres décriraient « tvam » (tu), les six suivants décrivant « tat » et les six derniers « asi » (es). Partant de cette hypothèse, considérons qu’Arjuna et Kṛṣṇa vont dès lors nous permettre de mieux comprendre le mot « ASI ».

Verset 1 :

  • Arjuna, qui a trouvé son guru, s’adresse à lui en l’appelant une fois de plus « Keśava ». Nom associé à Kṛṣṇa pour le désigner comme « celui qui a de beaux cheveux » -symbole de beauté et de puissance divine- mais aussi « celui qui a terrassé le démon keśī », démon réputé invincible.
  • Dans la Bhagavad Gīta il s’agit plus explicitement de cette deuxième acception. Arjuna témoigne donc explicitement de la confiance qu’il a envers Kṛṣṇa en lequel il se remet totalement pour le guider vers la Connaissance.
  • Ici, il est question de la « Nature » (Prakṛti ou Matière), de « l’Esprit » (Puruṣa), ainsi que du « Champ » (Kṣetra) et du « Connaisseur du champ » (Kṣetrajña), mais également de la « Connaissance » qu’il distingue de « ce qui doit être connu ».
  • Dans la philosophie du Saṃkhyā, le monde dans toutes ses composantes est issu de l’union de Brahman et de Prakṛti, permise par un esprit désirant, le Puruṣa.
  • Ce que nous percevons, la matière, sont les expressions de Prakṛti. Ce qui l’anime, le Puruṣa, s’exprime en elle par les manifestations de Prakṛti que nous appelons « Nature ». Les expériences qu’ils permettent sont vécues dans le « Champ », le monde matériel, par l’individu (Jīva) ou « Connaisseur du Champ ». Mais il s’agit d’une connaissance limitée qui ne circonscrit pas Brahman.
  • Il y a plus que le Champ et cette « Connaissance » peut mener « à ce qui doit être connu » au-delà de la Connaissance, ce que je comprends comme l’expérience de Samādhi ou révélation.

Verset 2 : ici Kṛṣṇa pose les bases du développement qui va suivre en réponse aux interrogations d’Arjuna. Sa réponse est presque laconique :

  • Le « Champ » renvoie aux enveloppes de matière, les trois corps ou Śarīras (physique, énergétique, causal) ainsi qu’aux équipements qui permettent de percevoir : les Jñānendriyas (organes de perception ou de connaissance). Ce sont des références à la philosophie du Saṃkhyā, déjà citée par Kṛṣṇa auparavant.
  • Le « Connaisseur du Champ » étant celui qui en fait l’expérience, l’esprit.

Dans le Verset 3, Kṛṣṇa s’identifie à tous les sujets « le Connaisseur du Champ dans tous les corps ».

  • Il redit l’unité des « sois » individuels et du Soi universel. Le fait de pouvoir reconnaître la conscience vibrante qui anime la matière sans la confondre avec elle est considéré par lui comme « la véritable Connaissance ».

 

Chapitre 13 – Prakṛti-Puruṣa-Viveka-Yoga (Le Champ et le Connaisseur du Champ) – Versets 4-11- Nadège

 

Les chapitres 13, 14 & 15 sont particulièrement importants, car ils présentent ce qui se trouve dans les Upaniṣads. Les Upaniṣads font parties du Vedānta (la fin des Veda) ; en quelque sorte l’essence des Veda et le chemin de la réalisation du Soi.

Viveka fait référence à la faculté de discernement, distinguer le réel de l’irréel, Prakṛti de Puruṣa.

En premier lieu, il y a donc l’explication de différents concepts :  kṣetram, kṣetrajña, jñānam, jñeyam, puruṣa et prakṛti

 

Verset 4 : « Entends brièvement de Moi ce qu’est le « champ » (Kṣetra), quelle est sa nature, quelles sont ses modifications, d’où il vient. Apprends aussi qui il est (le connaisseur) et quels sont ses pouvoirs ».

  • Qu’est-ce que le « champ » et quelles sont ses propriétés ? Quelle est l’origine de ce « champ », qui peut le connaître et comment agit-il ?
  • Il est important dans ce travail d’introspection qu’est le yoga, de comprendre les processus qui nous animent. Si nous prenons connaissance de nos travers, il sera plus facile de les contrer. Sinon, ils agissent de manière inconsciente. Il ne faut pas oublier non plus que la pratique va permettre de lever les voiles et donc de découvrir ce qui est dissimulé.
  • Le champ constitué du monde matériel est aussi le sujet de notre étude.
  • Kṣetra est en l’occurrence le corps, mais également le mental, le monde.
  • kṣetrajña est l’énergie de la conscience et la conscience elle-même qui sous-tend la vie.
  • kṣetrajña est le principe conscient qui illumine le corps et tous les corps ; ce et ces corps qui permettent de faire l’expérience de la vie et de la conscience.
  • Là où il y a un corps, il y a manifestation de la conscience.

 

Verset 5 : « Les sages ont chanté la connaissance de multiples façons, par divers hymnes, évoquant Brahman, par des vers inspirants, pleins de logiques et convaincants. »

  • Kṣetram englobe le monde matériel tout entier ; kṣetrajña est la conscience. La création tout entière est le mélange de ces deux éléments : conscience et matière. 
  • Les sages (Ṛṣi : rishis) ainsi que les mantras védiques donnent des explications claires qui peuvent être débattues et comprises.

 

Verset 6 : « Les grands éléments, l’égoïsme (le sens de l’ego), l’intellect et aussi la Nature non manifestée, les dix organes des sens et « l’unique » (le mental), les cinq objets des sens,

Verset 7 :  le désir, la haine, le plaisir, la souffrance, l’assemblage (le corps), l’intelligence, la persévérance – voilà brièvement décrit ce « champ » avec ses modifications. »

Selon la philosophie védique du Saṃkhyā, il existe 24 principes constitutifs de l’univers (tattvas)

  • Toute la création est la manifestation d’une intelligence consciente. Même une roche possède un certain niveau de conscience. Le sāṅkhya est plus une méthodologie qu’une philosophie. Il n’y a pas début, ni de fin à ce qu’on peut appeler le substrat au cœur de toute chose, l’absolu, ou que les upaniṣads nomment brahman ou le Soi. Brahman ne possède aucune qualité (nirguṇa). De ce substrat va émerger purușa, la pure conscience éternelle et non manifestée qui comporte, elle, trois qualités de « sat », l’absolu, « cit » (tchit), la conscience et « ānandā », la félicité. D’un point de vue symbolique, puruṣa serait une force latente. Le reflet de cette pure conscience va donner naissance à tous les éléments existentiels ou « tattva » à commencer par prakṛti (prakriti), la source du monde des formes. La métaphore la plus couramment utilisée pour expliquer cette notion est la représentation de la conscience par śiva (shiva), l’archétype masculin et śakti (shakti), le féminin qui fait référence aux énergies dynamiques … de śiva.
  • 1 – Prakṛti est le système qui permet de faire l’expérience du Soi ; il est le potentiel de création associé au principe féminin, actif, la matière primordiale. Sous l’impulsion de Puruṣa, il devient la vie dynamique qui produit des formes à l’infini et englobe les processus physiques et mentaux. Donc, ce substrat fondamental de l’univers (matière primordiale) constitue aussi bien le plan le plus grossier que le plan le plus subtil. C’est un potentiel de réalité pour le mental. prakŗti est la création, le principe d’un point de vue symbolique, féminin ; la puissance d’action latente. Sans puruṣa, prakŗti n’a pas de conscience d’elle-même Sous l’impulsion de puruṣa, elle devient la vie dynamique qui produit des formes à l’infini. prakŗti retient le karma et les vāsanās (tendances latentes qui arrivent avec l’âme dans l’incarnation de jīvātmān dans l’état conditionné de l’existence). prakŗti dans l’āyurveda est la substance mère dans l’incarnation et dans toutes les expériences de vie. Chaque personne est dotée d’une prakŗti individuelle (constitution physique et mentale).
  • prakṛti possède également trois attributs que sont les guṇas, un terme qui signifie « tenir ensemble ». Toutes les apparences de la création se manifestent par l’intermédiaire de ces guṇas qui sont les forces fondamentales : sattva : qualité de l’équilibre, de la lumière – Force ascendante ; rajas: qualité du mouvement, de l’air – Force de dispersion ; tamas : qualité de la stabilité, de la matière – Force descendante.
  • 2 – Le grand principe de mahātattva ou buddhi : Dans l’équilibre des guṇas, prakṛti va produire le grand principe de mahātattva ou buddhi, l’intelligence universelle, discriminante ou conscience manifestée qui permet de discerner le bien du mal, le vrai du faux, l’intemporel de l’impermanence, le substrat de toute compréhension.
  • 3 – ahamkāra, l’ego : Dans le « déséquilibre » des guṇas, puisque la vie est un grand jeu d’équilibre et de déséquilibre, va émerger la notion d’ahamkāra, le processus d’élaboration du « Je », de l’ego. C’est une étape de différentiation avec le Soi (la conscience) et de manière plus vaste de diversification dans l’univers. La compréhension de cette distanciation est fondamentale dans le yoga et l’āyurvedā pour retrouver l’équilibre originel. ahamkāra est la caractéristique de jīvātman, c’est-à-dire la conscience dans la matière qui perd cette notion de conscience pour prendre place dans l’espace et le temps. Ce concept permet d’expliquer le pourquoi de la souffrance et le sentiment de séparation. Avec l’ego, l’être humain va être en mesure d’expérimenter le monde des formes. Toutes les facultés qui permettent à une personne de fonctionner vont prendre naissance au niveau d’ahamkāra.
  • 4 – manas, le mental : ce qui émerge ensuite est la multiplicité « anarchique » qu’est « le mental » ou « manas ». Il est l’ensemble du psychisme, considéré comme observable et donc transformable. manas est dirigé vers l’extérieur et permet d’appréhender et de traiter les différentes « réalités », notamment à travers les sens. Ce mot manas, fait référence à plusieurs fonctions que sont en autre l’inconscient individuel et collectif, la mémoire, les émotions, les conditionnements… finalement « tout ce qui n’est pas libre ». manas va percevoir le monde avec différents outils de connaissance (indriyas).
  • 5-9 -Les cinq tanmātras ou principes sensoriels : ahamkāra donne également naissance avec manas à ce qu’on appelle les tanmātras, des potentialités à l’origine de la matière : on pourrait dire des essences subtiles qui vont se structurer en se matérialisant. Au nombre de cinq, elles sont en lien avec l’énergie qui va se décliner de différentes manières dans le monde matériel, notamment sous la forme des cinq éléments (éther, air, feu, eau, terre). Il y a le son ou principe de perception de l’ouïe (le principe du son) ; le toucher ou principe de perception du toucher (le tangible/chaud/froid…) ; la forme ou principe de perception de la vue (couleur et forme) ; la saveur ou principe de perception du goût ; l’odeur ou principe de perception de l’odorat.
  • 10- 14 – jñānendriyas : Les cinq organes des sens, de la perception
  • Viennent ensuite dans la matérialité les cinq organes des sens (pañca jñānendriyas) ou outils de connaissance : les oreilles, la peau, les yeux, la langue et le nez. Ils permettent de faire l’expérience de la réceptivité et transmettent les perceptions sensibles.
  • 15-20 –karmendriyas– Les cinq organes moteurs, les moyens d’action
  • Puis, ce sont les cinq organes moteurs (pañca karmendriyas) ou encore outils d’action expressifs : la bouche (expression), les mains (préhension), les pieds (mouvement), les organes urogénitaux (émanation) et les organes excrétoires (élimination). Ils permettent d’entrer en interaction avec le monde extérieur.
  • 20-24 – mahabhutās – Les cinq éléments 
  • Enfin, les cinq éléments (pañca mahabhutās) : l’éther ou espace (ākāśa), l’air (vāyu), le feu (tejas), l’eau (āpas) et la terre (pŗthivī). Ils constituent le monde des formes sous différents aspects, éthérique, gazeux, rayonnant, liquide et solide. Toutes les formes sont constituées par ces cinq éléments dans des proportions différentes pour chacune d’entre elles et créent différentes densités. Au niveau symbolique, l’éther est le concept de l’espace, la connexion, l’expression de soi, la communication. L’air représente le temps, le mouvement, le changement, la vélocité et la pensée. Le feu est en relation avec la lumière, la perception et la transformation. L’eau est le concept de la fluidité, de la cohésion, le substrat de la vie. Quant à l’élément terre, il est en lien avec la structure, la stabilité, la solidité et la résistance au mouvement.
  • Dans le verset 7, il est question de désir, haine, persévérance, etc., qui sont les attributs volatils de l’ego et du mental.
  • TOUT CELA est le Champ. Cette énumération permet de distinguer ce qu’est le champ de l’expérience du sujet qui vit l’expérience. Il est important de connaître notre fonctionnement pour permettre le changement.

 

Verset 8 : « l’humilité, l’absence de prétention, la non-violence, le pardon, la droiture, le service rendu au maître, la pureté, la patience, la maîtrise de soi… »

  • Ici Kṛṣṇa décrit les qualités et les pratiques qui seront favorables à l’éveil.
  • Amānitvam : l’humilité : sans désir d’honneur, de se placer au-dessus des autres
  • adambhitvam : sans orgueil
  • ahiṃsā est le plus grand principe éthique du dharma : la « non-violence » (ne causer aucun mal aux autres êtres humains, animaux, plantes et à l’ordre naturel en général…) ahiṃsā s’inscrit non seulement dans les actes, mais également dans les paroles et les pensées.
  • kṣāntiḥ : le pardon, ne pas tenir rigueur (à soi et aux autres).
  • ārjavam : la simplicité, la sincérité.
  • ācārya-upāsanam : le service à un guru (comme à Amma) ou pour des causes « nobles ».
  • śaucam : la propreté intérieure (pureté) et extérieure.
  • sthairyam : la stabilité dans la vie et dans sa vie intérieure.
  • ātma-vinigrahaḥ : le contrôle du corps, des sens, des pensées, etc.
  • TOUT CELA est Connaissance

 

Verset 9 : « L’indifférence aux objets des sens, l’absence d’égoïsme, la réflexion sur les maux propres à la naissance, à la mort, à la vieillesse, à la maladie, à la douleur ».

  • Vairāgyam : le détachement : la compréhension de cette notion du détachement est assez difficile, car cela ne signifie pas être insensible ou fuir les difficultés. Avec Vairāgyam, on voit la situation, on l’appréhende et la comprend, mais avec cette compréhension, il va s’agir de ne pas rester dans la rumination, de se mettre en action si nécessaire ou alors ne rien faire si l’évènement ne nécessite pas d’intervenir.
  • anahaṅkāraḥ : l’identification avec les perceptions nous entraîne sur une mauvaise route. Lorsque nous sortons de l’ego, il est possible de prendre de la hauteur et d’agir de la meilleure manière.
  • La réflexion « sur les maux propres à la naissance, à la mort, à la vieillesse, à la maladie, à la douleur » : il est important de comprendre que nous sommes tous confrontés à ce cycle de la vie et de la mort et de la souffrance. Savoir cela, nous aide à poursuivre notre chemin spirituel pour vivre et accepter au mieux ces expériences transformatives d’une part, et à terme, se donner la possibilité de s’extraire de cette roue de la transmigration par la fusion avec le Soi.

 

Verset 10 : « Le non-attachement, la non-identification du Soi avec enfant, femme, foyer et le reste, l’équanimité constante au milieu des situations favorables et défavorables… »

  • Le non-attachement est un concept fondamental dans différentes traditions spirituelles qui définit une condition de détachement envers les désirs matériels et émotionnels. Cela implique de reconnaître le caractère transitoire des expériences et de pratiquer le lâcher-prise quant aux résultats des actions. Cela favorise la paix intérieure et la sagesse.
  • La non-identification est un principe qui permet de prendre de la distance dans les relations humaines en général et plus particulièrement avec la famille, car il y a souvent un attachement excessif qui ne permet pas de faire la part des choses. Cela implique d’être dans une compréhension juste pour ne pas se laisser enfermer dans le surinvestissement.
  • L’équanimité constante au milieu des situations favorables et défavorables… » : l’équanimité est un état qui se cultive et qui consiste à observer ses sensations en toute honnêteté sans chercher à fuir et de les laisser passer. Il n’y a pas d’attente.

 

Verset 11 : « Une dévotion infaillible envers Moi par une concentration exclusive (au yoga de la non-séparation), l’attrait pour les lieux solitaires, la répugnance pour les endroits fréquentés par les foules…

  • Le premier volet de ce verset parle de la concentration, de la contemplation, mais également de l’action avec la conscience, le cœur. Celui qui agit, qui vit dans l’affection gardera sa stabilité en toutes occasions.
  • La non-séparation, c’est la compréhension que nous sommes un tout. L’action de l’un affecte la vie de l’autre.
  • Dans la dernière partie, il est question de calme et de tranquillité. Plus une personne chemine vers le Soi, moins elle a besoin des plaisirs éphémères et répugne même à cela.

 

Chapitre 13 – LE CHAMP ET LA CONNAISSANCE DU CHAMP –  – Versets 12 à 19 – Chérifa

Le champ, le corps, la nature manifestée et la « connaissance du champ » (la conscience)

Verset 12 : « La persévérance dans la connaissance du soi, la compréhension du but de la vrai connaissance- telle est la connaissance, dont le contraire est l’ignorance. »

  • Kṛṣṇā insiste sur la persévérance dans la quête du Soi, cela ne doit pas être une curiosité passagère, mais une fidélité durable à l’exploration intérieure. C’est la stabilité de celui qui garde le cap vers la vérité, même au milieu des distractions de la vie. La sagesse véritable ne se limite pas à accumuler des concepts, mais à voir clairement le but de toute connaissance c’est-à-dire comprendre, qui nous sommes.
  • Kṛṣṇā nous prévient tout ce qui mène vers le Soi, vers la compréhension du réel, est connaissance et tout ce qui s’en détourne, est de l’ignorance.
  • Ce verset nous rappelle que la vraie connaissance n’est pas académique, mais existentielle ; elle touche à l’être. Elle consiste à orienter sans cesse son regard vers la réalité ultime, plutôt que de se perdre dans les distractions secondaires. Ce n’est pas une accumulation intellectuelle plutôt une fidélité intérieure à soi-même.

 

Verset 13 : « Je vais t’enseigner ce qui doit être connu et qui, étant connu, permet d’atteindre l’Immortalité, le suprême Brahman, sans commencement, que l’on ne peut appeler ni l’être ni le non -être ».

  • « Ce qui doit être connu » : après avoir défini la vraie connaissance (v.12), Kṛṣṇā introduit l’objet même de cette connaissance. C’est la réalité ultime, au-delà des apparences changeantes.
  • « Étant connu, permet d’atteindre l’immortalité » ; « Étant connu, » : ici n’est pas intellectuel. C’est l’expérience directe qui libère de la peur de la mort.
  • « Le suprême Brahman, sans commencement, »: Brahman désigne la réalité absolue, principe ultime, il est sans origine, sans cause. Il est au-delà de la naissance et du temps.
  • « Ni l’être ni le non -être »: cela va au-delà des catégories du mental. C’est au-delà de toute dualité. L’ultime réalité n’est pas une chose que l’on peut saisir ou définir. Elle ne se réduit pas aux catégories du mental (« être », « non-être »). La connaître, c’est entrer dans une dimension au-delà du temps et de la mort, une expérience d’éternité vivante.

 

Verset 14 : « Ayant des mains et des pieds en tous lieux, des yeux, des têtes, et des bouches de toute parts, des oreilles partout, Il existe dans le monde, enveloppant (ou pénétrant) tout. »

  • La Présence suprême est partout, elle agit à travers les mains de chacun, voit à travers tous les yeux, entend à travers toutes les oreilles. Les organes des êtres vivants sont comme les instruments de cette unique réalité. Il n’y a pas de séparation, ainsi le regard de chaque être est le regard du Tout.
  • « Enveloppant tout » : l’absolu n’est pas ailleurs, séparé du monde. Il soutient et imprègne l’univers entier de l’intérieur.
  • Ce verset nous invite à un basculement de perception.
  • Quand nous voyons un être, entendons une voix, rencontrons une main qui agit tout cela peut être vu comme l’expression de la même réalité universelle. Cela éveille une vision sacrée du monde, où chaque geste, chaque regard, chaque parole est la manifestation du Tout.

 

Verset 15 : « Resplendissant à travers les fonctions de tous les sens, Il est pourtant dépourvu de leurs attributs. Détaché. Il est pourtant le support de tout. Dépourvu d’attributs (guna), pourtant il les expérimente… »

  • Toutes nos perceptions, voir, entendre, toucher, goûter et penser ne sont possibles que parce que la conscience est là, en arrière-plan. Mais cette conscience n’a pas elle-même d’organes : elle est le principe témoin.
  • « Détaché. Il est pourtant le support de tout »: la Présence universelle nourrit et soutient la vie, sans préférer, sans rejeter.
  • « Dépourvu d’attributs (guna), pourtant il les expérimente… » : la conscience pure est nirguṇa (au-delà des trois guṇas : sattva, rajas, tamas). Mais en même temps, la conscience s’expérimente à travers eux : elle se goûte dans la lumière, le mouvement, et l’inertie, sans s’y réduire.
  • Dans ce verset, on nous invite à reconnaître en nous cette conscience témoin. Elle vit toutes nos expériences sans en être prisonnière et voit à travers les sens, mais n’est pas limitée par eux.

 

Verset 16 : « A la fois extérieur et intérieur à tous les êtres, immobile et mobile, incompréhensible à cause de sa subtilité, très proche et très lointain tel est cela ».

  • « Extérieur et intérieur » : cette réalité n’est pas confinée dans un lieu : elle est dans le cœur intime de chaque être, mais aussi partout dans le vaste univers.
  • «Immobile et mobile » : la conscience est immobile en essence (le témoin immuable), mais à travers les êtres et la nature, elle se manifeste comme mouvement.
  • « Incompréhensible à cause de sa subtilité » : cette réalité ne peut être saisie par les sens ni par l’intellect, car trop subtile, trop vaste. Elle ne se connaît que par une intuition directe, une expérience intérieure.
  • « Très proche et très lointain » : elle semble lointaine à celui qui s’identifie au mental et au corps, cependant elle est très proche de nous, puisqu’elle est notre propre conscience.
  • Ici, nous est exposé le paradoxe de l’Absolu, car Il n’est pas « quelque part », il est partout et en nous. Il n’est pas un objet extérieur à atteindre, mais ce qui nous constitue déjà. Le mental le cherche comme lointain, mais l’expérience révèle qu’il est à l’intérieur de nous.

 

Verset 17 : « Indivisible, il existe pourtant comme s’Il était divisé entre tous les êtres. Il doit être connus comme le support de toutes les créatures. Il les dévore et les créer à nouveau ».

  • La conscience est une, indivisible, mais à travers les innombrables formes vivantes, elle apparaît comme fragmentée.
  • Rien ne peut exister sans ce principe fondamental. La Présence est à la fois le principe de dissolution et le principe de création.
  • Elle est le cycle complet : naissance, existence, disparition, (brahmā, viṣṇu, śiva).

 

Verset 18 : « On dit de Cela (Brahman), Lumière de toutes les lumières, qu’il est au-delà de toutes obscurité.il est la Connaissance, l’Objet de la connaissance, il a son siège dans tous les cœurs, et il est réalisé par la connaissance. »

  • Toutes les lumières (le soleil, le feu, l’intellect qui éclaire une idée) sont secondaires. La vraie lumière est celle de la conscience, sans laquelle rien ne peut être perçu ni connu.
  • L’obscurité représente l’ignorance et la confusion, l’oubli de notre vraie nature. Cette lumière est inaltérable, jamais obscurcie, même si elle peut être voilée. Ce qu’il faut connaître (le Brahman), est le but ultime de la quête de connaissance (l’expérience de l’unité).
  • Cette Présence n’est pas à chercher à l’extérieur. Elle réside déjà dans l’intériorité la plus intime, en chaque être.
  • Ici est révélé que la quête spirituelle n’est pas d’acquérir quelque chose de nouveau, mais de reconnaître la lumière qui est déjà là.
  • Elle éclaire tous nos savoirs, toutes nos perceptions, et pourtant elle se cache dans l’évidence du cœur.

 

Verset 19 : « Ainsi le champ, la connaissance et l’Objet de la Connaissance ont été brièvement décrit. Sachant cela, Mon dévot réalise Mon être. »

  • Ici c’est un verset qui récapitule les versets cités précédemment.
  • Kṛṣṇā nous a exposé trois aspects essentiels pour le chercheur.
  • Le champ, c’est-à-dire le corps, la matière, donc le domaine de l’expérience ensuite ce que nous devons développer pour vivre dans « le champ »la connaissance, c’est-à-dire les dispositions intérieures qui mènent à la sagesse et ce qu’il faut connaître, l’ultime réalité (Brahman).
  • Comprendre ces trois dimensions, c’est voir le tissu complet de l’existence, c’est-à-dire le monde manifesté (champ), le chemin de discernement (connaissance), et l’absolu (ce qui est à connaître).
  • Ainsi, il n’y a plus de séparation, et nous pouvons appréhender que notre essence est la Présence universelle.

 

Chapitre 13 – Le champ et le connaisseur du champ – Versets 20 à 27 Catherine

Verset 20 : « Sache que la Matière (Prakṛti) et l’Esprit (Puruṣa) sont tous deux sans début. Sache aussi que toutes les modifications (Vikara) et les qualités (Guṇa) sont nées de la Matière. »

 

                                                                                                                                  Le Seigneur

                                                                                                                                                                    

Puruṣa (l’Esprit- l’âme)                                                                                                Prakṛti (la Matière)

                                                                                                                                                                                                   

                                                       Vikāra                                                                                                            Guṇa   

                                            (Formes et émanations)                                                                                        (Qualités)

                                        Ils sont sans commencement, éternels. Ils font partis du cycle de renaissance et de mort : le Saṃsāra.

                                        Ils émergent de la matière : sous forme de plaisir, de douleur, d’illusion…

Sur le chemin de la pratique nous pouvons prendre conscience que nos émotions, nos expériences sont issues d’un mouvement constant et éphémère de la Prakṛti. Puruṣa, notre âme est le témoin des changements matériels. Cette prise de conscience peut nous permettre de nous détacher des mouvements constants de Prakṛti et nous libérer de nos attachements.

 

Verset 21 : « Dans la production de l’effet et de la cause, la Matière (Prakṛti) est dite être la cause. Dans l’expérience du plaisir et de la douleur, l’Esprit (Puruṣa) est dite être la cause. »

  • La Matière est constituée : – des 5 éléments, – des 5 sens, – du Mental, – de l’Intellect,  – de l’ego (Ahaṃkāra)
  • Les 5 éléments en se combinant produisent le monde des objets, incluant le corps, les sens, les sensations et l’instrument de jugement.
  • Tous ces aspects constituent le monde extérieur, car ils peuvent tous être perçus.
  • Le Soi perçoit le monde extérieur et l’impact sur l’ego.
  • La lumière de la conscience illumine les objets extérieurs et les instruments de perceptions, de sentiments, de pensées.
  • Les expériences sont constituées des réactions de l’intellect face au plaisir et à la souffrance. Puruṣa permet de voir le flot des expériences et l’impact sur l’ego. Et permet de prendre du recul face aux réactions. Il est nommé le connaisseur du Champ.

 

Verset 22 : « L’Esprit (Puruṣa), siégeant dans la Matière (Prakṛti), expérimente les modalités (Guṇa) nées de la Matière. L’attachement aux modalités est la cause de la naissance en de bonnes ou de mauvaises matrices. »

  • L’Esprit (Puruṣa), siégeant dans la Matière (Prakṛti), s’identifie au corps, il expérimente.
  • En tant qu’être humain incarné nous subissons l’influence des Guṇas : Sattva : la lumière, Rajas : le mouvement, et Tamas : l’inertie.
  • Les Guṇas sont nés de la matière et nous illusionnent. L’attachement aux Guṇas entraîne le cycle des renaissances. Pour sortir de ce cycle nous devons transcender les Guṇas en nous détachant des désirs matériels et en nous tournant vers la Conscience spirituelle, nous reconnecter avec notre nature Divine.

 

Verset 23 : « L’esprit Suprême (Puruṣa) dans ce corps est aussi appelé le Spectateur, Celui qui permet, Celui qui est le Support, Celui qui expérimente, le Grand Seigneur et le Soi Suprême. » 

  • L’esprit Suprême (Puruṣa) dans ce corps est aussi appelé le Spectateur.
  • L’âme s’incarne et va vivre des expériences. L’être vivant conscient de qui il est profondément, va se positionner en tant que spectateur et pourra observer ses mouvements au travers des mouvements de la vie. Il permet de vivre les expériences de vie, il est le Support qui soutient la vie et l’engagement. Il est le Seigneur, le Soi Suprême, la Conscience universelle, Brahman. Quand l’Esprit s’identifie avec le champ d’expériences, alors il ne peut que subir la vie et ses mouvements dans la souffrance.

 

Verset 24 : « Celui qui connait l’Esprit (Puruṣa), la Nature (Prakṛti) et les qualités (Guṇa), quel que soit son mode de vie, n’a plus à renaître. »

  • Les expériences vécues dans le monde laissent des traces (Vāsanas )et pour cela Puruṣa devra renaître.
  • L’Homme qui a réalisé ce qu’est l’Esprit, la Matière, comment fonctionne les Guṇas et comment l’Esprit peut-être égaré par les attachements dans la Matière devient le Connaisseur du Champ. Pour cela nous devons nous extraire des situations, c’est ce qui permet de comprendre pleinement ce qui se passe. Nous devons apprendre à nous extraire du Champ de la matière. Ce qui ne créera pas de nouvelles impressions (vāsanas) et celles déjà présentes, disparaîtront puisqu’il n’y a plus d’ego.

 

Verset 25 : « Certains par la méditation, voient le Soi dans le soi par le soi. D’autres (Le voient) par le Yoga de la Connaissance (Saṅkhyā Yoga) et d’autres encore par le Karma Yoga. »

Le Soi pur, qui n’a plus les empreintes de la matière peut être perçu de différentes manières :

  • Par la méditation, cette voie est ouverte aux personnes dont le mental est ferme et concentré, dont l’intellect est libéré des conditionnements matériels. Le pratiquant spirituel voit le Soi (la Conscience Pure) dans la soi, en Buddhi dans le Cœur (par l’intuition), par le soi, l’Intelligence pure dépouillée des vāsanas, des attachements matériels.
  • Par le Saṅkhyā Yoga : qui est « la séquence logique d’une pensée à travers laquelle nous atteignons une conclusion définitive, inaccessible au doute ».
  • Par l’étude des textes, la réflexion qui en émane, nous cheminons, percevrons, nous nous confrontons à nos vāsanas, mais par la persévérance, nous nous dépouillions et percevons progressivement les choses avec plus de clarté. Le mental s’apaise, la concentration se fait plus présente et le doute s’estompe. Il devient donc possible de méditer avec davantage de clarté.
  • Par le Karma Yoga : quand les 2 premières voies sont compliquées, il nous est proposé cette voie, de l’action désintéressée, il s’agit d’agir dans chaque acte de la vie, de la manière la plus juste, sans attachement aux résultats. Offrir au monde sans attente, libère, tranquillise, ouvre un espace propice à l’étude des textes.

 

Verset 26 : « D’autres, ignorant tout cela, adorent (le Suprême) selon ce qu’ils ont entendu. Ils vont aussi au-delà de la mort, s’ils considèrent ce qu’ils ont entendu comme le Refuge Suprême. »

  • Ici, une autre approche pour ceux qui ne peuvent méditer, lire des textes ou même agir de manière désintéressée. Ils peuvent suivre la voie d’adoration au Seigneur, en suivant les instructions d’autres dévots.
  • Ils peuvent par l’adoration qu’ils portent au Suprême, transcender leurs limitations et changer, comme mourir à soi pour s’offrir au Soi. La force de la prière et des rituels. Voir le Seigneur, en eux, en tout.

 

Verset 27 : « Ô Meilleur des Bharata, sache que tout ce qui nait, l’inerte comme l’animé, est le fruit de l’union entre le « Champ » et le « Connaisseur du Champ ».

  • Le Champ (Prakṛti) et le Connaisseur du Champ (Puruṣa) ; la Matière (le corps et ses attributs) s’unit à l’Esprit (l’âme).
  • La conscience est présente en tout : animé : homme, animal ; inanimé : le monde végétal (des expériences ont montrées que les plantes réagissent à l’atmosphère d’un lieu, d’une personne).
  • Dans la Conscience pure, le Champ de la matière n’existe pas, il n’y a donc pas d’existence et de conscience.
  • Par contre quand l’Esprit se matérialise alors l’animé ou le non animé possède une conscience et une âme.
  • Je suis une Conscience Pure incarnée, je ne suis pas les projections de l’incarnation, même si celles-ci peuvent sortir de moi. Je dois à chaque instant m’extraire de l’identification à la matière, de l’imagination du mental et de ses projections sur l’Intellect.
  • Nous devons voir l’origine commune des êtres et non la classification que nous nous en faisons dans la matérialité.

 

Chapitre 13 – Le champ et le connaisseur du champ – versets 28 à 35 – Gaëtan

 

Verset 28 : « Il voit juste, celui qui voit le Seigneur Suprême existant de la même façon en tous les êtres, l’Impérissable au cœur du Périssable ».

  • Ce verset résume à mon sens l’enseignement de la Bhagavad-Gītā.
  • La vision est convoquée ici, celle de l’archer qu’incarne Arjuna, capable de voir, viser et discriminer ; capable de voir à travers le voile de l’Illusion. Il s’agit cependant surtout d’une vision intérieure, d’une compréhension, voire d’une réalisation : dans le « champ » de la matière (Prakṛti) que Puruṣa vient animer, toutes les manifestations proviennent du même support : Brahman, éternel, non-né, permanent…

 

Verset 29 : « Vraiment, celui qui voit le Seigneur présent partout de façon égale, ne détruit pas le Soi par le soi, et par conséquent, il atteint le But Suprême. »

  • Kṛṣṇa insiste ici sur le « But Suprême », montrant par là, que tout ce qui a été dit jusque-là mène à cette vérité : Brahman n’est pas accessible par le mental ou l’intelligence. L’ego ne peut réaliser le Soi. C’est seulement une fois que les agitations du mental n’existent plus, que les sens sont maîtrisés et l’ego dissout dans la contemplation que nous pouvons accéder au Soi. Le « soi » ne « détruit » plus le « Soi », les conditionnements n’empêchent plus de réaliser ce qui a toujours été.

 

Verset 30 : « Il voit juste celui qui voit que toutes les actions sont effectuées par la Nature (Prakṛti) seule, et que le Soi est sans action. »

  • Kṛṣṇa file sa métaphore de la vision. Il introduit une nouvelle idée qu’il va approfondir plus tard, fidèle à une pédagogie qui consiste à avancer progressivement, en revenant sur certains concepts avant de les développer ensuite. Cette idée est que le Soi est non-agissant. A la fois au-delà et support du « Champ », il ne peut être agissant. L’action a un début et une fin, le Soi est éternel et non limité.

 

Verset 31 : « Lorsqu’un homme voit la variété des êtres reposer dans l’Unique et émerger de cette Réalité seule, il devient Brahman ».

  • Kṛṣṇa continue à tailler le diamant de la Connaissance qu’il souhaite transmettre à son élève. Il dit autrement que la multiplicité, la variété et la séparation participent de l’Illusion. La Réalité est constituée d’un Tout Unique distinct des manifestations mais qui les constituent pourtant. Avoir la Connaissance directe de cette Réalité c’est devenir un être réalisé : un « Brahman ».

 

Verset 32 : « N’ayant pas de commencement, dépourvu d’attributs, le Soi suprême, l’Impérissable, bien que résidant dans le corps, ô Kaunteya, n’agit pas et n’est pas affecté. »

  • Kṛṣṇa revient sur une autre facette du diamant. Le Soi est pure Conscience. Libre des désirs et de la causalité (« sans commencement »), hors d’atteinte car hors du Champ tout en le constituant, il ne peut être « affecté ».
  • Les actions sont le propre des êtres désirants, dépendants de leurs sens, des peines comme des joies qu’ils leurs procurent, pris dans l’Illusion d’une satisfaction pourtant éphémère et empêchés à atteindre la véritable félicité existant de l’autre côté du voile.
  • Le soi « dépourvu d’attributs » (gunas) ne peut changer. Puisqu’il ne peut changer il ne peut périr.

 

Verset 33 : « L’espace omniprésent n’est pas affecté du fait de sa subtilité. De même, le Soi, siégeant partout dans le corps, n’est pas affecté. »

  • « L’espace » au même titre que tout le reste, est une composante de Brahman. Nous pouvons évoluer en lui et tenter de le circonscrire avec des cartes et des noms qu’on attribue à des « endroits » et pourtant nous savons que l’espace est infini… et c’est impossible à imaginer. De même la « subtilité » du Soi ne peut aisément se concevoir, à la fois « dans le corps » et inatteignable.

 

Verset 34 : « De même que l’unique soleil illumine notre monde entier, le Seigneur du « Champ » (Paramātman) illumine la totalité du « Champ », ô Bharāta. »

  • « Le Seigneur du Champ », comprendre le Soi, à l’image du soleil qui illumine par Essence et non par action, en rayonnant anime toute chose sans être affecté par ce qui est produit ou manifesté de même que le soleil, bien qu’il permette la vie sur terre, n’en est en rien affecté.

 

Verset 35 : « Ceux-qui, avec l’œil de la sagesse, perçoivent la distinction entre le « Champ » et le « Connaisseur du Champ », ainsi que la délivrance des êtres des liens de la Nature (Prakṛti), atteignent le Suprême. »

Ce verset résume la pensée déroulée dans ce chapitre :

  • Le Champ est le terrain des manifestations émanant de Prakṛti.
  • Elle-même est animée par Puruṣa (le désir) et perçue par le mental, les sens et l’intellect qui constituent le « Connaisseur du Champ ».
  • L’être réalisé possède « l’œil de la sagesse » qui octroie une vision non liée aux sens, transcendantale, une expérience directe de la Connaissance.
  • La Réalité est impérissable, inaffectée, sans début ni fin et ce message nous invite à l’espoir de la « délivrance » des chaînes propres au fait de confondre Prakṛti, animée par Puruṣa, avec Brahman. »

Chapitre 14 – Versets 1 à 8  – Guṇa Traya Vibhāga Yoga (la différenciation des trois tempéraments)  – Nadège

Ce chapitre aborde Toujours l’unicité au sein de la multiplicité, mais il va expliquer comment s’articule cette multiplicité.

Revenons à l’origine du monde : qui est constitué d’une énergie très dense (Brahman) et parfaitement stable, sans mouvement (avant le Big Bang). Une sorte d’onde se met en œuvre (Puruṣa) qui va engendrer l’expansion de l’univers dans ses multiples formes (Prakṛti) et le monde est né. Au départ de ce monde, les forces (Guṇa) restent latentes en quelque sorte et en équilibre. Ces forces seront expliquées dans ce chapitre, ce sont sattva, rajas et tamas. C’est-à-dire pour résumer sommairement la nature de la lumière, du mouvement et de la matière (mais ce sont aussi intérieurement des forces de révélation, de pureté, d’agitation et d’inclinations sinistres). C’est à travers la compréhension de la manière dont ces forces agissent en nous que nous pouvons suivre le chemin vers le soi (Paramātmā) et qu’il est possible de se réaliser (de s’en libérer).

 

Verset 1 : Le Seigneur Suprême dit : « Je vais à nouveau t’enseigner le Connaissance Suprême, la meilleure de toutes les connaissances. L’ayant obtenu, les sages atteignent la Perfection Suprême après cette vie. »

  • La connaissance peut prendre de nombreuses formes qui vont mener à la compréhension du Soi. « La Suprême Connaissance ». Cet enseignement du Soi est répété et répété sous diverses formes, comme la pratique du yoga est répété sous diverses formes pour atteindre progressivement toutes les couches de l’être, participer à la purification et à l’élévation. Il n’y a pas d’apprentissage sans répétition et l’enseignement est présenté sous un autre angle.
  • Cependant, ce n’est pas un chemin linéaire, l’ego va se mettre en travers, car il s’agit en réalité de le détrôner, de lui redonner la place qu’il devrait avoir comme serviteur du Soi (du cœur) et non pas comme dirigeant.
  • Comprendre la manière dont vont se manifester nos Guṇas en tant que « forces » psychologiques va grandement nous aider à faire émerger le meilleur en nous.
  • Ceux qui méditent et tirent des leçons de leurs expérience atteignent « la Perfection Suprême » sans nul doute. La « Perfection Suprême » est aussi le sujet de la plus haute importance. Qu’est-ce que mokṣa (la Libération) ?

 

Verset 2 : « Ceux qui ont pris refuge en cette Connaissance (Jñānam) et ont atteint Mon Être, ne renaissent plus au moment de la création et ne souffrent pas non plus au temps de la dissolution. »

  • Jñānam signifie Connaissance, mais aussi Sagesse. Donc la Sagesse est la plus grande Réalité.
  • « L’état de Jīvanmukti (le libéré vivant ou Grand Sage) est connu comme « celui qui a atteint la connaissance de Brahman continue de vivre jusqu’à ce que son prārabdha-karma (action causale antérieure) soit épuisé par l’expérience de ses résultats ». — Lorsque le prārabdha-karma est épuisé par l’expérience de ses résultats, le jīvan-mukta se dissocie de ses accompagnements physiques et il devient Brahman lui-même. C’est ce qu’on appelle videha-mukti. » Advaïta Vedanta
  • Celui qui a fait fusion avec le Soi, ne renaît plus, et n’est pas non plus affecté par la dissolution, le Jīvanmukti ne souffre plus des contingences extérieures, n’est plus soumis à toutes les variations mentales. Il est auto-suffisant (il est libre des sentiments d’insécurité, des regrets, de la finitude et de tous les esclavages qui sont les murs de notre prison). Il voit à travers le jeu du mental, il n’en est plus affecté. Il dispense la joie et l’amour et ne reviendra plus dans le cycle du Saṃsāra (« le grand cycle de la transmigration »).

 

Verset 3 : « Ma matrice est la grande Nature. En Elle Je place le germe, d’où procède la naissance de toutes les créatures, ô Bhārata. »

  • Kṛṣṇa souligne de nouveau le fait qu’« Il » (en tant que conscience) est la source de toutes choses : « L’univers entier provient de Moi. Je suis la demeure, la source, la matrice même de toutes choses. » C’est le Mahat-brahmā (le grand principe lié à Brahmā). On l’appelle Brahmā car il omniprésent, comme principe créateur. Il est équivalent à ce qu’on appelle Hiraṇyagarbha, l’œuf d’or ou matrice d’or*, où se trouvent potentiellement toutes les graines de la création. Dans le Sāṅkhya, « Mahat tattva » ou « Hiraṇyagarbha tattva » est un état où le potentiel de création future réside à l’état latent, sous forme de possibilités très subtiles, non actualisées (vāsanas).
  • Tous les êtres proviennent de cette graine de toute création.

* « Le nom Hiraṇyagarbha fait référence à la graine qui devint un œuf d’or, resplendissant comme le soleil, dans lequel Brahmā, l’Existant par Lui-même, naquit sous la forme de Brahmā, le Créateur, considéré comme une manifestation de l’Existant par Lui-même. » Sri Rudram 2.1-2

– Les empreintes mentales quelles viennent d’une vie antérieure ou créées par les expériences dans cette vie-ci peuvent prendre forme à tous moments. Cela dépend du Guṇa du moment (de l’état psychologique). Cela représente le voile (Māyā, l’illusion) qui dissimule notre être profond. On l’appelle « illusion », car un état émotionnel n’est jamais stable par nature, ce qui paraît bien un moment peut ne plus l’être à un autre moment. D’où l’importance du discernement qui permet de voir avec les yeux du cœur ce qui est vraiment juste ou pas.

 

Verset 4 : « Quelles que soient les formes produites dans toutes les matrices, ô Kaunteya, la grande Nature est leur matrice, et je suis le Père qui donne la semence. »

  • Prakṛti en elle-même n’a aucun pourvoir d’action. Elle a besoin d’un Puruṣa pour produire le monde des formes.
  • Symboliquement Puruṣa est le père et Prakṛti, la mère. C’est la conscience qui imprègne la matière et la vie peut émerger.

 

Verset 5 : « La pureté, la passion, l’inertie, sont les qualités (Guṇas) nées de la nature (Prakṛti), ô Guerrier aux bras puissants ; elles lient l’impérissable Habitant du corps, au corps ».

  • Les quatre premiers versets sont une introduction qui traite de la connaissance de Soi, la Grande Sagesse. Puis elle aborde ce que produit la création par l’alliance de Puruṣa et de Prakṛti ou Brahmā et Māyā (le père et la mère). Tout ce qui est issu de ce « mariage » est un mélange du principe de conscience et du principe de matière.
  • Sattva (Pureté), Rajas (Passion) et Tamas (inertie) sont donc les trois guṇas (la corde, comme les trois brins de la corde de Prakṛti), les forces qui animent le monde des formes. Elles font partie intrinsèquement de Prakṛti ; elles en forment la substance. A partir du moment, où nous habitons un corps, les guṇas entrent en jeu, dans un constant équilibre/déséquilibre qui vont asservir, nous attacher (aux émotions) et voiler la conscience. Ils lient la Conscience et la Matière nous entraînant dans la limitation et les souffrances.
  • D’une certaine manière, ces trois forces vont jouer avec notre mental, influençant nos manières d’être et d’agir. D’un autre côté, sachant cela, il nous est possible d’intervenir sur elles pour rétablir l’équilibre.
  • La Conscience qui imprègne le monde des formes est sans guṇa (nirguna) : ce n’est pas un produit, ou une propriété du corps ; c’est une essence indépendante qui imprègne le corps, qui s’étend au-delà du corps ; elle « survit » au corps lui-même. Elle n’est pas reconnaissable en tant que telle.

 

Verset 6 : « Parmi les qualités, Sattva est lumineux et exempt de tout mal, du fait de sa pureté. Cette qualité le par l’attachement au bonheur et par l’attachement à la connaissance, ô Héros sans péché ! »

Les prochains versets vont décrire la particularité de chacun des guṇas : quelles servitudes ils entraînent ainsi que des indications pour savoir quel guṇa est prédominant chez chacun et ce que cela provoque au-delà de la mort.

  • Sattva guṇa apporte la clarté, la transparence ; c’est un principe de lumière, une force ascendante. Sattva guṇa apporte la paix et le calme.
  • « Exempt de tout mal » : le mal avant de s’exprimer en paroles ou en actions, est déjà présent psychologiquement, dans la pensée et par une attitude égocentrique. Sattva par sa clarté permet de discerner ce qui est « inquiétant » en soi et par la pratique l’éloigner (se défaire des mauvaises habitudes et/ou attitudes).
  • Cependant, même si une personne est sattvique, elle est liée par ce guṇa, notamment au « bonheur » et à la « connaissance »: lorsqu’une personne aura purifié ses instincts rajastiques et tamasiques, il est évident qu’elle se sentira apaisée, plus gaie et plus encline à comprendre des sujets plus subtils.
  • C’est déjà un pas de plus vers la sagesse ;  cependant « cette dépendance » reste quand même une chaîne qui peut empêcher la libération totale.
  • Le Sage accompli n’est lié ni au bien, ni au mal.

 

« A la fin du Mahābhārata, Yudhiṣṭhira, le frère d’Arjuna, le seul encore vivant, arrive au paradis accompagné d’un vieux chien, qu’Indra lui avait demandé de laisser en chemin, s’il voulait entrer au Nirvāṇa. Mais Yudhiṣṭhira avait préféré le garder car la loyauté du chien le touchait et il ne pouvait égoïstement l’abandonner. A la porte du Paradis, on lui demande qui il est, et on le fait entrer, mais à la vue du chien (considéré comme impur), il est rejeté. Il a cependant le temps d’apercevoir ses « ennemis », les Kauravas, mais aucun de ses frères. Il se dirige donc vers l’enfer. Là, on l’accueille de bon gré avec son chien, et il retrouve avec étonnement tous ses frères, les Pāṇḍavas et sa femme Draupadī. Yudhiṣṭhira décide alors qu’il vaut mieux rester en enfer avec les siens plutôt qu’avec ses ennemis au paradis. Mais à ce moment et par le fait qu’il ait sauvé le chien qui s’avère être son père, le dieu Dharma, toute cela apparaît aussitôt comme une grande illusion, car il n’y a ni paradis et ni enfer. »

 

Verset 7 : « Sache que la nature de Rajas est la passion, la source du désir et de l’attachement à l’action, ô Kaunteya. »

  • Sattva rend calme, tranquille et satisfait ; Rajas apporte l’insatisfaction.
  • « Rajo rāgātmakaṁ viddhi tṛṣṇāsaṅgasamudbhavam» : Tṛṣṇā, signifie le désir, mais également la soif excessive (notamment pour l’āyurveda) et l’avidité.  
  • Raja entraîne dans une activité excessive pour satisfaire ses désirs ; mais ceux-ci à peine comblés, d’autres naissent encore, comme un puit sans fond. La possession et l’attachement matériel mènent au désastre. Il ne peut jamais y avoir de paix.
  • C’est une course effrénée qui conduit aux disputes, aux conflits et aux guerres.
  • Tant que rajoguṇa n’est pas compris, apaisé et transcendé, il n’est pas possible d’atteindre le Soi.

 

 

Verset 8 : « Sache que Tamas naît de l’ignorance, et que trompant tous les êtres incarnés, cette modalité lie fortement par la négligence, l’indolence et le sommeil, ô Bhārata. »

  • Tamas apporte la confusion. Sous l’influence de ce guṇa, il n’y a pas de discernement possible.
  • C’est notre nature inférieure, qui nous fait prendre des vessies pour des lanternes.
  • Tamoguṇa est un vrai problème, car c’est le plus grand obstacle aux plus hautes aspirations de l’être humain : il fait barrage à notre humanisme, bonté, bienveillance, etc.
  • C’est le règne de l’aveuglement et il peut être tel que la confusion peut régner dans toutes les pensées, paroles et actes.
  • Tamoguṇa est l’effet direct de l’ignorance. Il égare et précipite dans la prison obscure du Saṃsāra. Sous son emprise, la vérité est masquée par d’épais nuages ​​noirs. Son pouvoir trompeur est universellement ressenti, par tous et même les personnes les plus intelligentes sont parfois aveugles aux réalités d’une situation.

 

Il est important de comprendre que personne n’est dominé par un seul guṇa. Les trois guṇa s’expriment tous à un moment ou à un autre.

 

Chapitre 14 – Guṇa-Traya-Vibhāga-Yoga – La différenciation des trois tempéraments – Versets 9 à 16 – Chérifa

 

Verset 9 : « Sattva crée un attachement au bonheur, Rajas à l’action, et Tamas, qui véritablement voile la connaissance, crée l’attachement à la négligence. »

  • Les liens invisibles, que sont chacun des trois guṇas sont des forces qui lient l’être humain à certains attachements.
  • Le guṇa sattva qui représente la clarté, l’harmonie, attire vers la joie et la sérénité, mais peut aussi enfermer dans l’attachement au bien-être.
  • Le guṇa rajas qui représente le mouvement, la passion, nous pousse sans cesse à agir, désirer, conquérir, mais enchaîne à l’agitation.
  • Le guṇa tamas qui représente l’inertie, l’obscurité, voile la lucidité et conduit à la torpeur, la confusion et la fuite.
  • Même la clarté peut devenir une prison, sattva est supérieur aux deux autres, mais il reste un lien et chercher uniquement le confort, la lumière, ou la paix, sans dépasser l’attachement, n’est pas encore la liberté.

L’art de l’observation est de reconnaître en soi, quand sattva nous fait rechercher la paix, quand rajas nous pousse à l’action frénétique, quand tamas nous plonge dans l’inertie. C’est le premier pas pour ne pas s’y identifier. Le chemin de libération commence quand on voit les guṇas à l’œuvre, comme des dynamiques impersonnelles de la nature.

 

Verset 10 : « Sattva prédomine, ô Bhârata, quand il vainc Rajas et Tamas. Rajas prévaut quand il l’emporte sur Sattva et Tamas. Et Tamas domine quand il maitrise Sattva et Rajas. »

  • Les trois guṇas ne s’expriment jamais de façon stable. Ils se disputent la prépondérance comme trois forces en lutte permanente.
  • La conscience humaine est comme champ de bataille, dans une même journée, nous pouvons vivre, un moment de clarté et d’harmonie (sattva), une phase d’agitation et d’activité (rajas), et un passage de lourdeur ou de confusion (tamas). Aucun état n’est définitif. Ici est enseigné l’impermanence à l’intérieur de nous-même Cette alternance montre que les guṇa appartiennent à la nature changeante (prakṛti), et non à notre essence immuable. Nous pouvons donc observer ce jeu des forces à travers nous sans s’y identifier. Et Comprendre que « ceci est sattva », « ceci est rajas », « ceci est tamas » et rester le témoin.

Ce verset nous apprend à reconnaître que nos humeurs, nos élans et nos torpeurs ne sont pas nous. Elles sont simplement le va-et-vient des guṇa. L’observation lucide ouvre la porte à une liberté plus vaste, au-delà de ces fluctuations.

Verset 11 : « Lorsque la lumière de la connaissance resplendit par chaque porte de ce corps, on sait que Sattva prédomine. »

  • « Toutes les portes du corps » : « Les portes », désignent les sens (vue, ouïe, odorat, goût, toucher, pensée). Quand ils fonctionnent de manière claire, sans brouillard ni agitation, c’est l’influence de Sattva.
  • « La Lumière de la connaissance » : La lumière symbolise la clarté intérieure. Cela se traduit par un esprit paisible, une perception juste, une compréhension plus vaste. On voit les choses telles qu’elles sont, sans distorsion excessive des désirs (rajas) ou de l’inertie (tamas).
  • « Sattva prédomine »: Ce n’est pas la libération ultime, mais un état de relative harmonie. C’est l’énergie qui rapproche le plus de la connaissance et de la vérité. Quand Sattva est fort en nous, nos pensées deviennent limpides, nos sens sont comme éclairés, nos décisions sont plus équilibrées, et nous ressentons une paix intérieure.

 

Verset 12 : « L’avidité, l’activité, l’engagement dans l’action, l’agitation, le désir naissent quand Rajas domine, ô Meilleur des Bhārata »

  • Les signes du rajas prédominant, sont l’avidité (le désir d’accumuler, de posséder), le besoin constant d’être occupé, d’être en action. Ce Guṇa nous pousse à engager sans cesse de nouvelles actions, projets, ambitions. Rajas est l’énergie qui met le monde en mouvement, indispensable pour agir, mais quand elle domine, elle enferme dans un cycle sans repos.
  • Quand Rajas est fort en nous, le mental est excité, l’action est incessante, et le désir n’est jamais rassasié.

 

Verset 13 : « La lourdeur d’esprit, l’inertie, la négligence et la compréhension erroné, naissent quand Tamas prédomine ô descendant des kuru »

  • Les signes quand tamas prédomine, est l’absence de clarté, l’obscurité intérieure, la confusion, l’inertie, l’incapacité à entreprendre, la stagnation, la négligence, l’insouciance destructrice, l’oubli de ce qui est juste, l’illusion, l’attachement aux erreurs, et la perte du discernement.
  • L’énergie de tamas nous emmène dans un état de torpeur, d’ignorance, ou d’indifférence, où l’on se détourne de la vérité. Si Sattva illumine et Rajas met en mouvement, Tamas endort et paralyse.
  • Quand tamas domine en nous, nous manquons de motivation, nous sommes plongés dans la confusion, et nous oublions ce qui est essentiel. Reconnaître tamas en nous ou chez les autres ne doit pas nous emmener dans le piège du jugement, seulement à l’observation. Reconnaitre tamas nous indique juste, un état de vie où la conscience s’est voilée.

 

Verset 14 : « Si l’être incarné rencontre la mort quand Sattva domine, il atteint le monde pur de ceux qui connaissent le suprême »

  • Dans ce verset on nous enseigne, que ce qui domine dans notre esprit au dernier instant de notre vie, influence la direction de notre voyage. Si la clarté (sattva) prévaut, l’être s’élève vers des plans lumineux.
  • « Mondes purs » : Cela peut se lire, « plans subtils de lumière » ou symboliquement comme un état de conscience libéré de l’agitation et de l’ignorance.
  • Mourir dans la lumière rapproche de la lumière. Ce que nous cultivons pendant la vie (clarté, paix, discernement) influence profondément notre fin. La mort n’est pas une rupture brutale, mais une continuité de l’état intérieur. Cultiver Sattva revient à préparer une mort paisible et une ouverture vers la lumière.

Verset 15 : « S’il rencontre la mort quand Rajas domine, il renait dans un corps parmi ceux qui sont attaché à l’action. Et s’il meurt quand prédomine Tamas, il prend naissance dans une matrice dénuée de discrimination ».

  • Mourir avec l’influence de rajas, veut dire que l’esprit est imprégné d’agitation et de désir d’agir. De ce fait, la renaissance aura lieu dans un milieu où l’action, l’effort et la poursuite des ambitions dominent.
  • Mourir avec l’influence tamas, est que la conscience est voilée par l’ignorance ou la torpeur. Cette énergie mène vers des formes de vie marquées par l’obscurité, le manque de clarté et la confusion. Cela symbolise des existences où la conscience peine à s’éveiller.

 Le verset illustre une loi simple, l’état de conscience au moment de la fin de l’incarnation attire l’état suivant au moment de la renaissance. Mourir avec l’esprit attaché à l’action (rajas) nous garde liés au cycle du faire. Mourir dans la torpeur (tamas) nous enferme dans des conditions où la lumière est plus difficile à percevoir. C’est pourquoi le chemin spirituel invite à cultiver sattva, comme une préparation à quitter ce monde avec la paix et la clarté.

 

Verset 16 : « Le fruit d’une bonne action, dit-on, est sattvique, et pur. Vraiment, le fruit de Rajas est la douleur, et le fruit de tamas est l’ignorance »

  • Le fruit du sattva, c’est-à-dire l’effet d’actions accomplies dans la clarté, avec un esprit équilibré. Produisent des résultats limpides, paisibles, bénéfiques.
  • Le fruit du rajas est un effet des actions menés par désir, agitation et attachement. Le résultat produit ne satisfait jamais pleinement. Cela engendre fatigue, conflit, frustration et, en fin de compte, souffrance.
  • Le fruit du tamas est l’effet d’une action issue de l’ignorance, de la négligence ou de l’illusion. Le résultat produit mène à davantage d’aveuglement et de confusion. Ce n’est pas seulement une absence de clarté, mais un enchaînement qui maintient l’esprit voilé.

Ce verset nous enseigne que Sattva élève, Rajas épuise, Tamas obscurcit. Chaque action que nous accomplissons n’est pas neutre, elle porte en elle une graine qui mûrit en une qualité intérieure. Ainsi, il ne s’agit pas seulement de ce que nous faisons, mais de l’état d’esprit dans lequel nous agissons.

 

Verset 17 : « La connaissance naît de Sattva, l’avidité viens de Rajas, la lourdeur d’esprit, l’erreur de jugement et aussi l’ignorance, émergent de Tamas. »

  • Ici, il nous est enseigné que, sattva nourrit l’éveil, rajas nourrit l’attachement et tamas nourrit l’obscurité. Observer quel fruit domine en nous (clarté, avidité, confusion) est un signe pour reconnaître quel guṇa agit à ce moment-là. Ainsi, l’auto-observation devient un chemin vers la liberté. Identifier, afin de se désidentifier.

 

Verset 18 : « Ceux qui sont établis en sattva s’élèvent, les rajastiques restent dans les sphères intermédiaires, et ceux qui sont dans le guṇa inférieur (les tamasiques) s’abaissent.

  • Ce verset ne décrit pas seulement des destins après la mort, mais aussi des tendances dans la vie quotidienne.
  • Quand sattva domine, on s’élève vers plus de lumière.
  • Quand rajas domine, on reste prisonnier du cycle ordinaire.
  • Quand tamas domine, on s’enfonce dans l’obscurité et la confusion.

 

Chaque instant peut être lu à travers cette dynamique, « Suis-je en train de m’élever, de rester coincé, ou de descendre ? »
La conscience du jeu des guṇas devient une boussole intérieure pour orienter sa vie.

 

Verset 19 : « Le sage, capable de voir qu’il n’y a pas d’autre agent que les guṇas, et qui connaît ce qui est plus grand que les guṇa atteint mon être »

  • « pas d’autre agent que les guṇas »: Lorsque nous percevons que tout ce qui se passe dans le monde de la nature, (pensées, émotions, actions, mouvements du corps et du mental) est le jeu des trois guṇas, et qu’il n’y a pas de « moi séparé » qui agit.
  • Quand nous voyons avec discernement que c’est la nature qui agit selon ses lois. Nous pouvons alors voir que l’agitation, la clarté ou l’obscurité ne sont que des qualités, et que nous ne sommes pas ces qualités.
  • Celui qui perçoit le principe au-delà des guṇas, c’est-à-dire, la conscience pure, immuable, la présence qui n’est pas affectée par les fluctuations, il réalise la véritable liberté. Alors il est nommé Sage.

 Kṛṣṇa dit « atteindre mon être » cela signifie rejoindre la dimension de l’immuable, de l’infini, au-delà du jeu des qualités. Ce verset est une clé, reconnaître que nos humeurs, nos actions et nos pensées ne sont pas nous, mais le jeu des guṇas. Ce qui nous permet de nous détacher de l’identification, car « Ceci est sattva, ceci est rajas, ceci est tamas », ce qui nous permet d’être établi dans la conscience pure, témoin immobile. C’est la porte vers la libération.

 

 

Chapitre 14 – Guṇa-Traya-Vibhāga-Yoga – La différenciation des trois tempéraments – Versets 17 à 24 – Catherine

Verset 17 : « La connaissance naît de Sattva, l’avidité vient de Rajas, la lourdeur d’esprit, l’erreur de jugement et aussi l’ignorance, émergent de Tamas. »

  • Ici, nous voyons comment les guṇas (les énergies présentes en nous de manière fluctuante) influencent notre état mental et de ce fait nos actions et notre vie spirituelle.
  • La Conscience non incarnée est pure et éternelle.
  • La Conscience dans le corps subtil est « l’intelligence » qui nous permet de connaître le monde qui nous entoure.
  • Lorsque le mental est paisible, pur reflet de la Conscience immatériel, il est prédominé par la qualité sattva, la qualité de la connaissance.
  • Quand le mental est épris de désirs, rempli d’agitation, il est le reflet de l’énergie rajas 
  • Quand le mental se fourvoie dans les jugements, qu’il ne peut voir le monde qu’à travers des voiles, il est dans l’énergie de tamas. L’état tamasique ne permet pas de développer des capacités d’introspection. Mais ces états étant en constant mouvement, nous pouvons progresser constamment.

 

Verset 18 : « Ceux qui sont établis en Sattva s’élèvent. Les rajasiques restent dans les sphères intermédiaires, et ceux qui sont dans les guṇa inferieur (les tamasiques) s’abaissent. »

  • Il est fait allusion à l’évolution, la pierre serait le 1er degré, elle n’a pas de conscience, puis il y aurait le règne végétal, ensuite animal et l’être humain.
  • Quand ce dernier transcende le temps et l’espace il connaît le monde des cieux sans limitation dans le temps et l’espace.
  • Les guṇas dominants en nous sont le reflet du passé, notre vie future va dépendre de la manière dont nous jouons avec nos guṇas. Si notre ego domine, il est fort probable qu’il nous entraîne vers la souffrance, loin de la spiritualité et de la libération.
  • Kṛṣṇa explique ici qu’en fonction de notre nature prédominante sattvique, rajasique ou tamasique, notre vie après notre mort, ne sera pas la même.
  • Ceux qui sont établis en sattva s’élèvent spirituellement pour atteindre la libération du cycle des renaissances.
  • Les rajasiques qui sont plutôt passionnés, restent dans les sphères intermédiaires, et peuvent revenir sur terre, selon leurs actions passées
  • Les tamasiques, qui manquent de conscience s’abaissent dans des mondes ou des formes de vie différentes (animal, végétal, par exemple).

 

Verset 19 : « Le sage capable de voir qu’il n’y a pas d’autre agent que les guṇas et qui connaît ce qui est plus grand que les guṇas, atteint mon Être. »

  • L’Esprit Puruṣa qui s’identifie au mental, est empêtré dans le jeu des guṇas. La méditation permet de transcender le mental et de voir sa véritable nature au-delà de son mental, de son corps.
  • Nous pouvons nous rendre compte que rien n’échappe aux énergies des 3 Guṇas, dans nos états, nos actions mais que nous pouvons les transcender pour rejoindre la nature du Divin.

 

Verset 20 : « Lorsque l’être incarné va au-delà de ces 3 guṇas dont est né le corps, il est libéré de la naissance, de la mort, de la vieillesse et de la douleur et atteint l’immortalité. » 

  • Quand nous sommes pris au piège du jeu des guṇas, nous restons prisonniers de notre mental, de nos limitations, dans la souffrance.
  • En transcendant nos guṇas, ces énergies de notre nature incarnée, nous libèrerons notre âme des cycles des naissances et de morts, de la vieillesse, de la souffrance.

 

Verset 21 : « Arjuna dit : Quels sont les signes distinctifs de celui qui a transcendé les guṇas, Ô Seigneur ? Quel est son comportement, et comment va-t-il au-delà de ces 3 guṇas ? »

Arjuna questionne Kṛṣṇa :  

  • Quels sont les signes distinctifs de celui qui a transcendé les guṇas.
  • Quel est son comportement ?
  • Comment va-t-il au-delà de ces 3 guṇas ?

A travers ces questions, Arjuna montre à Kṛṣṇa la compréhension qu’il a de l’influence des guṇas sur l’attitude de l’être humain et il veut savoir comment transcender l’impact des guṇas. Il cherche des solutions. Il y a dans le cheminement spirituel : la connaissance que l’on reçoit à travers des textes (comme la Bhagavad Gītā), la prise de conscience et la mise en pratique pour la transformation.

 

Verset 22 : « Le Seigneur Suprême dit : Ô Pândava, il ne hait pas la lumière, l’activité et l’égarement quand ils sont présents, et ne les désire pas non plus quand ils sont absents. »

  • Kṛṣṇa répond à la 1ere question qu’Arjuna a posé : les caractéristiques de celui qui a transcendé les guṇas.
  • Celui-ci se trouve dans un état d’accueil face aux manifestations des guṇas : l’illumination (sattva), l’activité (rajas) ou l’égarement (tamas), il ne les hait pas quand ils se présentent et ne les désire pas quand ils sont absents. Il est dans l’état d’équanimité : imperturbable, il n’est pas les manifestations, elles existent par elle-même.
  • L’être sattvique est attaché à la paix, à la joie et déteste se sentir perturbé par les autres guṇa,s à la différence du sage qui est dans la paix et la joie et ne se sent pas perturbé par les agitations des guṇas, il a transcendé le mental et l’intellect, il vit dans le Soi.

 

Verset 23 : « Celui qui, assis comme s’il était non concerné, n’est affecté par les guṇas, et qui, sachant que ce sont les guṇa qui agissent, reste concentré et impassible. » 

  • Ici, la description qui nous est faite et celle d’une personne dans un état d’équanimité, indifférente aux mouvements des guṇas, ayant compris que ceux sont les mouvements des guṇas qui créent les actions.
  • Les guṇas étant mouvants, ils créent des états psychologiques, émotionnels changeants ; ces états induisent des actions. Nous devenons l’observateur de nos états mouvants.
  • Nous ne cherchons pas à contrôler chacune de nos émotions, nos pensées mais nous sommes dans la capacité de les observer, en sachant que nous ne sommes pas nos émotions, nos pensées.
  • Cette manière d’être nous permet de ne plus réagir, mais d’agir en conscience de qui nous sommes profondément.

 

Verset 24 : « Celui qui reste le même dans le plaisir et la souffrance, ancré dans le Soi, considérant d’œil égal une motte de terre et une pierre précieuse, le plaisant et le déplaisant, ferme, égal devant la critique ou la louange… »

  • La personne qui a transcendé les 3 guṇas n’est plus affectée par les actions et réactions qui sont propre à l’Univers matériels des guṇas.
  • Il est dans l’état d’équanimité ce qui se passe en lui (plaisir et souffrance), ce qu’il voit (une motte de terre ou une pierre précieuse) … il est d’égal humeur devant les critiques ou les louanges.

 

Chapitre 14 – Guṇa-Traya-Vibhāga-Yoga – La différenciation des trois tempréraments – Versets 25 à 27 – Gaëtan

Verset 25 : « Celui qui reste égal dans l’honneur et le déshonneur, face à l’ami et à l’ennemi, abandonnant toute entreprise, s’est élevé dit-on, au-dessus des guṇas. »

  • Kṛṣṇa poursuit sa réponse à Arjuna. Il revient sur le concept d’équanimité. Tout est égal à celui qui voit à travers le voile de māyā, au-delà des émanations, des manifestations, au-delà du visible et du tangible. Il accueille de la même manière ce qui est doté d’attributs car il sait que le Soi est le seul but à atteindre et qu’il en est dépourvu.
  • Les guṇas sont des cordes qui nous lient au monde sensible, nous attachent à ce qui nous anime plus ou moins consciemment selon nos Vāsanas (les « traces mentales des expériences passées). 

 

Verset 26 : « Celui qui me sert avec une dévotion infaillible, et traverse ainsi les guṇas, est digne de devenir Brahman. »

  • Le motif de la dévotion est à nouveau convoqué par Kṛṣṇa. Il s’agit de l’amour du « divin » qui doit faire l’objet d’un service si possible constant. Il ne s’agit pas de méditer ou prier sans arrêt mais bien de s’engager dans la vie sociale en gardant le Soi comme guide et but à atteindre.
  • C’est « devenir Brahman » que de réaliser le Soi et pour en être digne, un engagement de tous les instants est requis.
  • Les guṇas sont ainsi « travers[ées] » comme on traverse un voile, comme on se délie d’une corde qui entrave, comme on se libère des conditionnements inhérents aux attachements et aux désirs.

Verset 27 : « Car je suis la demeure de Brahman, Immortel et Immuable, du Dharma éternel et de la félicité absolue »

  • Puisque la Conscience universelle constitue toute chose si Kṛṣṇa est sa demeure, chacun d’entre nous l’est aussi. C’est un nouveau message d’espoir propre à animer le chercheur spirituel en l’amenant à la contemplation de l’Absolu « Immortel », « Immuable ». Nous sommes aussi la « demeure » du « Dharma éternel » notre svadharma (notre devoir) participant du Dharma cosmique et, but sublime, de la « félicité absolue ». Le paradis n’est pas ailleurs mais offert à celui qui sait le reconnaître.

 

Chapitre 15  – Puruṣottama-Yoga – l’Esprit Suprême – Versets 1 à 5 – Gaëtan

 

Verset 1 : « Le Seigneur Suprême dit : Ils (les sages) parlent de l’indestructible arbre « Aśvattha », qui a ses racines en haut et ses branches en bas, dont les feuilles sont les Veda. Celui qui sait cela connaît les Veda. »

  • La racine « Asva » renvoie au « cheval » pour lequel le banian, ou figuier sacré était réputé pourvoyeur d’ombre. La racine « sva » signifie « demain» et « stha », « ce qui reste ». Le « a » est privatif, on pourrait traduire par : « périssable » (ce qui aura changé demain). Il s’agit probablement d’un symbole du Manifesté, le monde des formes. Ses racines aériennes vont comme puiser dans le ciel, comme pour signifier que la source de la matière et du visible est l’Infini, Brahman. Ses feuilles sont les « Veda » ou « Connaissance », ancrées dans le sol, dans la matière. Ainsi cet arbre apparaît bel et bien comme une représentation du « Champ » décrit dans le chapitre 13.
  • Celui qui sait que cet arbre vient du Tout mais ne représente pas le Tout, a compris ce qu’il y avait à comprendre, il « connaît les Veda ».

 

Verset 2 : « Ses branches se déploient vers le bas et vers le haut, nourries par les guṇas. Les objets des sens sont ses bourgeons, et au-dessous, dans le monde des hommes, ses racines s’étendent et engendrent l’action. »

  • Ce verset confirme la proposition précédente. Si les guṇas sont le matériau du manifesté alors l’arbre renvoie bien au vivant périssable et, par conséquent, au saṃsāra (le grand cycle ou grand arbre de la transmigration).
  • « Les objets des sens sont ses bourgeons »: soit ce qui entretient la roue de la réincarnation dans des cycles qui ne connaîtront fin que lorsque tous auront réalisé le Soi, source de l’arbre mais au-delà de l’arbre. En attendant cette réalisation les racines « engendrent l’action » et son lot de conséquences enfermant les hommes dans la réaction.

 

Verset 3 : « Sa forme n’est pas perçue ici, ni sa fin, ni son origine, ni son support, ni son existence. Ayant tranché cet arbre Aśvattha, fermement enraciné, avec la puissante hache du détachement. »

Verset4 : « On doit alors rechercher le But dont ne revient jamais celui qui l’a atteint. Je cherche refuge dans ce Puruṣa primordial, dont émane depuis des temps immémoriaux toute activité. »

  • Kṛṣṇa affirme que seuls les êtres réalisés peuvent percevoir la globalité du Manifesté, du principe de vie ou « Puruṣa ».
  • Ceux qui ont su abattre cet arbre à l’aide de « la puissante hache du détachement » et qui par conséquent, ne sont plus liés par les guṇas, plus victimes de leurs sens, libres pour de vrai, à jamais délivrés puisqu’ils ont atteint « le But dont ne revient jamais ».
  • Détournés de ce qui semble constituer le monde, ce « Champ » limité qui paraît être le Tout inconcevable pourtant, les être réalisés peuvent contempler, en eux, la source réelle du véritable Tout.

 

Verset 5 : « Ceux qui sont libres de l’orgueil et de l’illusion, qui ont vaincu le mal de l’attachement, qui sont établis constamment dans le Soi, débarrassés de leurs désirs, affranchis des dualités telles que le plaisir et la douleur, ces êtres libérés de l’illusion atteignent le But Éternel. »

  • Ce verset est comme une conclusion provisoire. Il vient clore une première démonstration de ce que serait « l’Esprit Suprême », l’objet de contemplation qui seul mérite d’être contemplé : « le But Éternel ».

Pour y parvenir, grâce à la hache du détachement, ils se sont débarrassés de « l’orgueil » (donc de l’ego), « affranchis des dualités » (qui nourrissent le mental) ;  en bref, « libérés de l’illusion » (qui occupe notre intellect) que constitue le Manifesté, le Perceptible etc… Tout ce qui nous fait prendre le « Champ » pour le « Tout ».

 

Chapitre 15 – Puruṣottama-Yoga – l’Esprit Suprême – Versets 6 à 13 – Nadège

 Verset 6 : « Ni le soleil, ni la lune, ni le feu n’illuminent (ce lieu) d’où il n’y a pas de retour pour ceux que L’ont atteint. C’est ma demeure Suprême ».

  • Dans le verset précédent, il est mentionné que le chercheur spirituel qui a réussi à s’affranchir de l’ego atteint l’immuable (Brahman).
  • Ici, en quelque sorte, est défini Brahman dans une « non définition ». Car Brahman n’est pas « objectivable » par aucun des instruments de « connaissance ».
  • La « lumière » est un concept dans les Upaniṣads qui définit la présence de choses que l’on peut connaître et de ce fait chaque organe des sens comme outil de connaissance est une lumière. La vue qui permet de voir, l’oreille d’entendre, la langue qui permet de goûter, le nez qui sent et la peau, le toucher. Tous les instruments de connaissance sont appelés lumière : le raisonnement, les émotions, l’expression, etc.
  • Il existe une multitude de lumières, le soleil, la lune, le feu : ils sont des objets que nous percevons mais Brahman ne peut être illuminé ou connu par aucune lumière, car il est le sujet. C’est l’être conscient qui se matérialise, mais qui ne peut être connu par cette matérialisation : « il est ».
  • Penser qu’il y a une différenciation entre soi et Brahman est une fausse piste. Car « Je suis Brahman » qui expérimente le monde des objets.
  • Brahman n’est pas quelque part, il est en tout.
  • « C’est ma demeure Suprême » : En transcendant les objets, nous revenons à la Conscience, ce que nous sommes intrinsèquement. Une sorte de « fusion », de connaissance profonde. Une fois cette connaissance réalisée, il n’y a plus de retour en arrière : nous ne sommes jamais éloignés de Brahman et nous ne nous éloignerons plus jamais depuis ce moment-là.

Verset 7 : Une part éternelle de Moi, étant devenue un être vivant dans le monde des vivants, et résidant en Prakṛti, attire (à elle) les cinq sens, et le mental qui est le sixième ». 

  • Ce Jīva qui est « le Soi éternel » dans le monde de tous les Jīvas, réside en toutes choses (conscience omniprésente)
  • Le monde de la création est imprégné de la Conscience.
  • La conscience originelle est Brahman et la conscience réfléchie est Jīva : La Conscience énergie.
  • L’essence des sens appartient à la Conscience pour appréhender le monde.

  

Verset 8 : « Lorsque le Seigneur prend un corps, et quand il le laisse, Il prend et emporte avec Lui les sens et le mental, comme le vent emporte le parfum des fleurs ».

  • Ici, il est encore question du saṃsāra (le grand arbre de la transmigration) et de mokṣa (la libération), mokṣa étant le fait de retrouver (fusionner avec) Brahman.
  • Avec mokṣa, on abandonne la notion de l’ego, du moi individuel, séparé.
  • Dans la vie, jīva, l’être incarné vit les expériences à travers les sens et le mental. A sa mort, les sens et le mental sont emportés, non pas comme sous leur forme « vivante », mais en tant qu’essence, de parfum. C’est ce qu’on appelle les vāsanās (les empreintes psychiques) ; c’est la base du prochain jīva, jusqu’à la « fusion » finale.

Verset 9 : « Contrôlant l’oreille, l’œil et les organes du toucher, du goût et de l’odorat ainsi que le mental. Il expérimente les objets des sens ».

  • Jīva à travers le mental qui est imprégné des empreintes psychiques passées va réactiver ou non certains  de ces traits, tout dépend de sa propension à comprendre sa véritable nature. 
  • La conscience universelle qui vit en chacun des jīvas est caché par ces voiles égotiques, émotionnels.

 

Verset 10 : « Celui qui est égaré par l’illusion ne Le voit pas quand Il part, demeure et expérimente, uni avec les guṇas. Mais ceux qui sont dotés de l’œil de la Connaissance Le voient ».

  • Le Soi infini qui est par essence chacun d’entre nous, nous est caché par notre attachement aux émotions, à notre nature égotique.
  • « En réalité, l’illumination est le déplacement de la notion de « je suis un individu limité et souffrant » à « Je suis une conscience entière, complète et immuable. Qu’est-ce que la re-Connaissance de Soi par rapport à l’ego ? C’est la réalisation que l’égo est le ‘moi’, mais je ne suis pas l’égo. Le processus d’auto-enquête et l’assimilation progressive de la Connaissance de Soi, neutralise ou rend non contraignant les désirs/aversions, attachements/peurs, qui sont les causes d’identification à l’ego. Même s’il n’y a pas de mort de l’ego, cela ne signifie pas qu’il ne subit pas de changements… pour le mieux ! Par exemple, vous continuez à aimer vos enfants, votre conjoint et vos amis, mais il n’y-a pas d’attachements limitants. Également, lorsque la reconnaissance que « je suis une Conscience illimitée » est ferme, un sentiment de confiance intérieure apparaît. La personne sait qu’elle peut vivre n’importe quelle situation tout en demeurant inébranlable comme un roc. » Swami Dharmapriyananda Saraswati.

 

Verset 11 : « Les chercheurs s’efforçant d’atteindre la Perfection, Le voient résidant en eux. Mais les êtres frustes et peu intelligents, malgré leurs efforts, ne Le voient pas. »

  • Là, il est question de deux types de personnalité, les personnes perspicaces (qui voient) et ceux qui manquent de discernement. En réalité, ces deux « visages » peuvent être compris dans le sens d’un « progression », d’un « cheminement ». La pratique et la compréhension de la pratique vont apporter la clarté mentale.
  • Je reviens sur le point de la compréhension de notre pratique : à mes yeux, elle est essentielle pour amener à l’ouverture, à la perception de ce que nous sommes réellement.
  • Pratiquer pour pratiquer n’a pas de sens. Et malgré les efforts, il n’y aura aucun « résultat », aucune Connaissance.

 

Verset 12 : « Cette lumière qui est inhérente au soleil et qui illumine le monde entier, qui est aussi dans la lune et dans le feu, sache qu’elle est Mienne. »

  • Parātman (la conscience universelle) est présente dans chaque corps sous forme de principe sensible (cidābhāsa), c’est Jīvātmān (la conscience dans l’état conditionné de l’existence matérielle) ; Dayananda Saraswathi Swamiji dit quelque chose de très intéressant : « reconnaître la conscience universelle en chacun de soi, déjà à travers la salutation Namaste :  » je salue en toi la Conscience qui est en moi » et ceci quelle que soit la personne.
  • La conscience à travers la lumière (l’énergie, le Prāṇa) illumine le Monde.

 

Verset 13 : « Imprégnant la terre, je suis le support de toutes les créatures par Mon énergie vitale. Et devenant le fluide lunaire (soma), Je nourris toutes les plantes. »

  • Tout ce qui existe est Brahman ; la vie est Brahman, la vie est sacrée.
  • Pour de nombreux peuples, la vie est sacrée, la vie ne peut être vécue sans le respect et l’éthique qui nous incombent de mettre en place.
  • La lumière solaire est l’énergie pranique, vitale qui permet la vie. Prāṇamayakośa, notre corps énergique est soutenu par le soleil, par le mantra de Gāyatrī.
  • De même la conscience se manifeste par la lune qui reflète cette lumière solaire. La Lune et le Soleil sont comme Prakṛti et Puruṣa ; Śakti et Śiva ; Soma (de nature aqueuse, douce) et Agni (de nature brûlante). La conscience (agni) et Soma est le support de la lumière, le pouvoir réfléchissant de la conscience elle-même. En même temps, agni et soma sont les deux versants d’une même pièce qui est Brahman : le feu de la conscience et l’eau de la félicité.
  • Soma est le principe nourrissant de la vie.
  • « Je nourris toutes les plantes » : Il existe un lien spécifique entre la lune et les plantes en particulier : par exemple dans l’agriculture traditionnelle en Inde, il est conseillé d’exposer les graines au clair de lune avant de les semer. Soma est la vie, la joie.

 

Chapitre 15 – Puruṣottama-Yoga – l’Esprit Suprême – Versets 14 à 21 – Chérifa

 

 Verset 14 : « étant devenu le Feu Vai svānara, Je réside dans le corps des êtres, et, associé à Prāna et à Apāna. Je digère les quatre formes de nourriture »

  • Dans ce verset, Kṛṣṇa nous révèle que la divinité que l’on peut comprendre comme la conscience universelle, se manifeste dans le corps des êtres, jusque dans la digestion, symbole du processus d’assimilation, de transformation et de purification.
  • C’est dans le processus de digestion que la séparation entre ce que l’on garde et qui devient du « Nous » et ce qui sera rejeté et rendu à la terre par l’élimination, se fait.
  • Le terme Vaisvānara désigne littéralement le feu universel (Agni cosmique) présent dans tous les êtres. Dans la physiologie spirituelle indienne, ce feu est lié à Agni, principe de transformation.
  • Ainsi, ce verset ne parle pas seulement de la digestion physique, mais aussi de la transformation intérieure, de la capacité à assimiler les expériences, de la fusion du subtil et du matériel. Nous pouvons donc comprendre que le feu qui digère la nourriture est le même feu qui transforme l’expérience en connaissance.
  • prāṇa et apāna sont les souffles vitaux, en effet, prāṇa est le souffle ascendant, ( prāna a plusieurs définition) la force de vie qui nourrit et inspire ; et apāna est le souffle descendant, responsable de l’élimination et du relâchement. Ces deux souffles s’unissent dans la région du nombril , le centre du feu digestif pour maintenir l’équilibre vital. On peut aussi voir cette union, du haut et du bas, de l’inspiration et de l’expiration, comme un symbole harmonieux dans la circulation de la conscience dans la matière.
  • Les quatre types d’aliments représentent ce qui est mâché, ce qui est bu ,ce qui est léché et ce qui est aspiré. Mais, cela désigne aussi tout ce que l’être absorbe, non seulement la nourriture physique, mais aussi les impressions, les émotions, les idées.

Dans ce verset, la digestion prend une dimension plus grande, elle est reliée à l’énergie cosmique, à la conscience divine et de ce fait nous comprenons que tout ce que nous recevons du monde doit être transformé pour devenir lumière intérieure. Notre vie ordinaire est donc traversée par la présence sacrée, et de ce fait chaque acte vital peut être vécu comme une offrande, ainsi manger, respirer, digérer, c’est participer à la grande danse cosmique.

 

Verset 15 : « Je siège dans tous les cœurs » (…) et le connaisseur des Véda.

  • « Je siège dans tous les cœurs » : Le « cœur » ici n’est pas l’organe affectif, mais le centre de la conscience, le lieu où l’expérience est perçue. Cette phrase affirme que le principe de lucidité, la conscience est en chacun de nous, nous avons dans notre cœur, toute la même lumière silencieuse qui rend toute perception possible. Elle n’appartient à personne, mais elle s’exprime à travers tous.
  • « De moi procède la mémoire, la connaissance et aussi leur absence » : Cette phrase, indique que la même source intérieure, la conscience ou le principe de vie est à l’origine de la mémoire de la connaissance et aussi de leur absence.  Ce qui permet de se souvenir, de savoir ou d’oublier ne dépend pas d’un « moi » personnel, mais d’une énergie plus profonde, impersonnelle. Ainsi, la conscience n’est pas seulement un témoin passif, elle engendre, soutient et résorbe le flux des pensées. C’est un processus vivant, rien ne vient « du dehors », tout émerge de la même source silencieuse qui anime les êtres.
  • « Je suis véritablement ce qui doit être connu dans tous les Véda. Je suis en vérité l’auteur du vedanta, et le connaisseur des védas » : Ici on ne parle pas d’un objet à connaître, mais de la source même de la connaissance. Le sujet qui connaît, l’objet connu et l’acte de connaître ne sont pas trois réalités séparées. Ils émergent d’un même champ de présence. Quand cette évidence est vécue, la séparation entre « moi qui sais » et « le monde que je perçois » s’efface.
    il ne reste que la conscience en train de se connaître elle-même. Quand cette évidence est perçue, la dualité entre « moi qui sais » et « le monde connu » se dissout, il reste seulement la clarté vivante de la conscience.

Verset 16 : « Il y a deux Puruṣa dans ce monde, le périssable et l’impérissable. (…) l’immuable est appelé l’impérissable. »

  • Ce verset introduit une distinction fondamentale entre deux plans de la réalité :
    celui qui change et celui qui demeure.
  • Le périssable, c’est tout ce qui naît, se transforme et disparaît comme le corps, les pensées, les émotions, les perceptions, les mondes, les civilisations. Ce n’est pas « mauvais » ni « illusoire », c’est simplement la dimension vivante du changement. Tout ce que nous pouvons observer ou concevoir appartient à ce domaine. Tout ce qui apparaît finit par se dissoudre, mais le fait d’apparaître, lui, repose sur quelque chose de stable.
  • L’impérissable, c’est le témoin silencieux du changement, la présence consciente qui demeure la même à travers toutes les transformations. Quand tu observes tes pensées, tes émotions, ton corps, tu remarques qu’ils changent sans cesse, mais que « ce qui voit » ces changements, ne change pas. Il ne s’agit pas d’une chose, mais d’un état d’être : la stabilité au cœur du mouvement. C’est l’observateur.

Le verset ne dit pas qu’il y a deux réalités séparées, mais deux expressions d’une même source, le monde du changement (le périssable) et la présence qui le perçoit (l’impérissable). L’un ne va pas sans l’autre, sans la conscience, le changement ne pourrait être connu et sans le changement, la conscience ne pourrait se révéler à elle-même. Le périssable est le miroir où l’impérissable se reconnaît.

 

Verset 17 : « Mais distinct des deux, il existe un Puruṣa suprême, appelé le soi supérieur, (…) est leur support »

  • Dans le verset précédent, Kṛṣṇa distinguait deux dimensions de la réalité, le périssable, qui change et se dissout, et limpérissable, le témoin immuable du changement.
  • Ici, le texte introduit une troisième dimension, encore plus subtile, le principe suprême la conscience universelle qui contient et soutient les deux autres.
  • Ce « troisième » n’est pas un troisième objet, mais la totalité même. C’est ce qui transcende le périssable et l’impérissable, et les englobe tous deux dans une unité vivante. Si le périssable est le monde des formes, et l’impérissable la conscience qui les perçoit, ce principe ultime est la réalité même où forme et conscience ne font qu’un.
  • Les « trois mondes » symbolisent les trois niveaux d’expérience humaine : le physique (le monde des sens), le mental (le monde des pensées), et le causal ou subtil (le monde du silence, de la potentialité).Le verset dit que ce principe est présent dans les trois, non pas comme un observateur extérieur, mais comme la force de cohésion qui les relie.
  • « Le seigneur indestructible qui imprégnant les trois mondes, est leur support »: « est leur support », cela signifie « rendre possible ». Tout ce qui existe, change, pense ou respire, se déploie dans et par cette présence silencieuse. Elle ne fait pas partie du monde, c’est le champ dans lequel le monde existe. Elle n’est pas une entité séparée, mais la trame de tout ce qui est.

Sur le plan de l’expérience, ce verset nous invite à reconnaître que ce que je suis, en essence, n’est pas seulement témoin du monde mais aussi la totalité du mouvement, la vie même qui perçoit et agit. C’est le passage de la conscience du Soi à la conscience comme Tout. Plus rien n’est séparé : ni le corps, ni les pensées, ni les autres.

 

Verset 18 : « Transcendant le périssable, Je suis même plus grand que l’impérissable ; par conséquent, je suis célébré comme l’être suprême (Puruṣottama) dans le monde et dans les védas. »

  • Ce verset fait la synthèse entre les trois niveaux d’existence. Le périssable c’est à dire le monde du changement, l’impérissable c’est-à-dire la conscience qui observe le changement, et enfin le Puruṣottama, le Principe ultime, qui transcende les deux tout en les unifiant.
  • Transcender le périssable ne signifie pas le rejeter ou le fuir. Cela veut dire, ne plus s’y limiter. L’être humain s’identifie souvent à ce qui change, son corps, son rôle dans la société, ses émotions. La conscience, elle, demeure. Reconnaître cela, c’est déjà franchir un premier seuil.
  • « Je suis même plus grand que l’impérissable » : Ici, on va encore plus loin, même la conscience immuable, le témoin silencieux du changement, est transcendée dans une dimension plus vaste. Car tant qu’il y a un « témoin », il y a encore dualité, quelque chose qui observe et quelque chose qui est observé.
  • « Je suis célébré comme l’être suprême (Puruṣottama) »: Le Puruṣottama est au-delà du témoin, il n’est plus la conscience « de » quelque chose, mais la totalité de l’être où rien n’est séparé. Le mot Puruṣottama signifie « le plus haut principe de l’être humain » ou encore « la conscience totale ». Il ne s’agit pas d’un dieu séparé, mais de la réalité la plus profonde qui habite tout être. C’est la Source silencieuse qui s’exprime à travers chaque respiration, chaque regard, chaque geste de la vie. Le Puruṣottama est la plénitude de l’être, ni seulement la matière, ni seulement la conscience, mais la vie elle-même, unie, libre, totale.

 

Verset 19 : « Celui qui libéré de l’illusion. Me connait ainsi, comme le soi suprême (Puruṣottama) connait tout, et il m’adore de tout son être, ô Baratha »

  • Ce verset parle de la réalisation intérieure. Il ne s’agit plus de définir ce qu’est le Puruṣottama la conscience suprême mais de le reconnaître comme sa propre nature.
  • L’illusion vient de l’identification, c’est-à-dire croire que je suis uniquement ce corps, ce mental, cette histoire. Donc « libéré de l’illusion » c’est lorsque, Je vois clairement ce que je suis, au-delà de mes formes changeantes. Ce n’est pas un rejet du monde, mais une vision claire à travers le monde.
  • « Me connaît ainsi, comme le soi suprême (Puruṣottama) » : Connaître le Puruṣottama, ce n’est pas croire ou conceptualiser, c’est voir directement que cette conscience silencieuse, cette intelligence vivante qui soutient toute existence, est notre propre essence.
  • « Connaît tout » : Celui qui a reconnu cette unité n’a plus besoin d’accumuler des savoirs. Il « connaît tout » non par l’analyse, mais parce qu’il voit l’essence unique dans tout ce qui est. Connaître le Tout, c’est se reconnaître en tout.
  • « Et il m’adore de tout son être, ô Baratha »: « Il m’adore » met l’accent sur la dévotion c’est à dire le mouvement du cœur vers le divin.Différente traduction du mot en sanskrit « bhajati », est possible. C’est un mot très riche, dont le sens premier est « partagé, s’unir, se tourner vers, participer à ».
  • Dans une vision dévotionnelle (bhakti) : « il m’adore de tout son être ». Dans une vision de non-dualité (advaita) : « il s’unit à moi de tout son être ».
  • Ici, il ne s’agit pas d’un culte extérieur, mais d’un acte intérieur d’unification. Il n’y a plus d’opposition entre « moi » et « la Source », plus de séparation entre celui qui vit et la Vie elle-même.
  • « Il m’adore de tout son être, ô Bhārata »: peut se comprendre comme : « Il s’abandonne totalement à la Présence qu’il reconnaît en lui-même. » Ainsi, le mot adorer retrouve son sens profond, non pas vénérer un autre, mais honorer la totalité de la vie comme manifestation du Soi.

 Ce verset décrit l’état de conscience unifiée c’est la fin de la confusion, la fin de la dualité entre celui qui cherche et ce qui est cherché.

 

 Verset 20 : « Ainsi, l’enseignement le plus secret (profond) t’a été délivré par Moi, ô toi sans péché. En connaissant cela, un homme devient un sage, et il a accompli tous ses devoirs, ô Baratha »

  • Ce verset clôt le chapitre 15, Après avoir exploré la nature du périssable, de l’impérissable et du Puruṣottama,
    il ne reste plus rien à chercher, tout est déjà accompli.
  • « L’enseignement le plus secret »: Ce secret n’est pas caché parce qu’il est difficile à comprendre, mais parce qu’il est évident, tellement simple qu’il passe souvent inaperçu. Ce que révèle ce verset, c’est la vérité que le mental ne peut saisir, mais que le cœur reconnaît immédiatement, ce que je cherche en dehors de moi a toujours été présent en moi. Ce secret, c’est la présence vivante qui anime tout, silencieuse, intime, disponible à chaque instant.
  • « En connaissant cela, un homme devient un sage »: La « compréhension » ici n’est pas seulement intellectuelle. C’est une intuition du cœur, un moment où l’on cesse de séparer la connaissance de l’amour. La véritable sagesse embrasse tout ce qui est. Lorsque nous voyons le monde comme une seule conscience en mouvement, la compassion, la douceur et la bienveillance jaillissent naturellement.
  • « Il a accompli tous ses devoirs »: C’est l’expression de la plénitude. Celui qui reconnaît la source unique en toute chose n’a plus rien à prouver, ni à atteindre. Toutes les quêtes de réussite, de sécurité, de reconnaissance, même de vérité se résorbent dans une paix simple. Être ce qui est.

 

La Bhagavad Gīta ne parle pas d’un savoir réservé à quelques initiés, mais d’une intimité avec la vie. Comprendre le Puruṣottama, c’est aimer le monde comme son propre corps, et accueillir chaque être comme une expression de la même source. L’amour devient alors une forme de connaissance, et la connaissance devient une forme d’amour. Le cœur voit ce que l’intellect ne peut concevoir, que tout, absolument tout, est traversé par la même lumière.

Le verset 20 enseigne que la sagesse véritable est celle du cœur silencieux, où connaissance, amour et présence ne font qu’un. Tout est accompli, non parce qu’il n’y a plus rien à faire, mais parce que rien n’est séparé de la Présence qui agit à travers tout.

 

Chapitre 16– Daivāsura-Sampad-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la distinction – Versets 1 à 8 – Catherine 

Verset 1 : « Le Seigneur Suprême dit : L’absence de peur, la pureté de cœur, la fermeté dans le Yoga de la Connaissance, la charité, la maîtrise des sens, le sacrifice (yajña ), l’étude des Ecritures, l’austérité, et la droiture…

Ce verset décrit les qualités des êtres de nature Sattvique qui permettent de progresser spirituellement et de trouver la Paix et la Joie intérieure.  

  • – « l’absence de peur », la peur naît de l’attachement, du désir quand nous sommes dans l’ignorance. A contrario, quand nous entrons dans la connaissance, il n’y a plus de peur, on connaît la nature Divine, immortelle du Soi.
  • – « la pureté de cœur », qui serait une résultante d’un des piliers du Yoga : « Yama » qui permet de respecter toute forme de vie, en passant par soi, en repoussant les plaisirs futiles  
  • – « la fermeté dans le Yoga de la Connaissance » : posture ferme et agréable, sthira, sukham. Discipline et régularité.
  • – « la charité », la générosité qui permet d’agir pour le bien d’autrui et de refréner ses désirs. Partager nous rend plus riche.
  • – « la maîtrise des sens », Pratyhara, qui permet l’intériorisation, de calmer le mental, qui permettra, à force de pratique, de fusionner avec le Soi.
  •  – « le sacrifice(yajña), l’étude des Ecritures », Etude des Textes qui permettent de progresser vers le Soi.
  • – « l’austérité », l’ascétisme qui vise la rencontre avec le Soi, en se recentrant dans l’essentiel, alors de l’espace se libère.
  • – « la droiture », se conduire dans la vie de manière honnête, permet de progresser spirituellement.

Plus nous cultivons ces vertus, plus notre mental se dépose dans le calme, plus l’espace nécessaire à la rencontre avec notre véritable Nature Divine, s’ouvrira.

Verset 2 : « La non-violence, la vérité, l’absence de colère, le renoncement, la tranquillité, l’absence de calomnie, la compassion pour les créatures, l’absence de convoitise, la gentillesse, la modestie, l’absence d’agitation… 

Krisna continue dans ce verset à décrire la nature mentale d’un être Divin.

  • – « la non- violence », peut-être morale ou physique. La non-violence physique est difficile à atteindre, dès lors que nous foulons le sol, sous nos pas, tout un monde existe que nous sacrifions, sans le vouloir. Et lors de nombreuses activités, il en est ainsi. Il n’est pas considéré que ce soit de la violence dès lors que ces activités sont pures.
  • – « la vérité » qui rejoint la droiture du verset précédent. Faire preuve de vérité dans ses pensées, ses émotions, ses actes       
  • – « l’absence de colère » : physique et psychique, celle-ci pouvant s’extérioriser de ces 2 manières. Il est difficile de ne pas ressentir la colère, notre but étant de la voir arriver et de pouvoir la contrôler afin qu’elle ne nous déborde pas, que nous gardions une humeur égale.
  • – « le renoncement » s’apparente au détachement, qui permet de vivre sans attente, qui permet de rester d’humeur égale face à la vie.
  • – « la tranquillité » découle des précédentes qualités acquises.
  • – « l’absence de calomnie » s’exprimer avec respect concernant autrui, avec amour.
  • – « la compassion pour les créatures », installés dans la qualité d’amour pour toutes les créatures, il n’y pas de jugement, il n’y a qu’accueil des différences comme des cadeaux. 
  • – « l’absence de convoitise », rejoint le désir pour les choses et les êtres, par le contrôle de nos sens, nous pouvons refréner celle-ci. 
  • – « la gentillesse » est une qualité qui va de soit quand l’être s’est installé dans les qualités précédentes.
  • – « la modestie », rejoindrait l’humilité. Plus besoin de prouver quoique ce soit à qui que ce soit, tout est là.
  • – « l’absence d’agitation », agitation qui peut être mentale et physique qui dissipent l’énergie, bien précieux qui sert à être.

 

Verset 3:  « L’éclat de la vigueur, le pardon, l’endurance, la pureté, l’absence de haine et d’orgueil, telles sont les caractéristiques de celui qui est né avec une nature divine, Ô Bhârata. »

  • – « L’éclat de la vigueur », « l’éclat » : la lumière, l’énergie. De « la vigueur » : qui émane de la manière de vivre, de s’alimenter et des actions accomplies au quotidien dans le partage, la dévotion, l’amour porté à autrui viennent nourrir aussi la vigueur.  
  • – « le pardon », se pardonner, se purifier et être dans l’accueil des interactions avec sérénité quel que soit ce qui se passe et se dit.
  • – « l’endurance », l’énergie nécessaire, à chaque instant, pour continuer sur le chemin spirituel quel que soit ce qui se passe autour, quel que soit les obstacles qui peuvent se présenter… Cette endurance est la résultante du but que l’on veut poursuivre.
  • – « la pureté » d’esprit, des pensées pures, dénuées d’attachements, de jugements.
  • Ce qui est pur est non souillé, propre, se rapporte au lieu dans lequel on évolue et à notre corps physique et nos vêtements.
  • – « l’absence de haine », la violence, la haine se rejoignent. Dans ma conception actuelle la haine serait un concept plus interne, dans des pensées haineuses, ces pensées peuvent donner de la violence. L’absence revient à faire Un avec autrui.
  • – « l’absence d’orgueil » qui rejoindrai la modestie, l’humilité. Je suis humaine, je fais de mon mieux, si je me place dans le Dharma, dans le détachement, je n’œuvre pas pour moi, mais pour plus grand, je n’attends pas de reconnaissance personnelle.

Verset 4 : « L’hypocrisie, l’arrogance et la prétention, la colère, et aussi la dureté et l’ignorance, appartiennent à celui qui est né avec une nature démoniaque, Ô Pārtha »

 Ici nous sont énumérées des caractéristiques de personnes négatives.

  • – « l’hypocrisie », la personne ayant ces caractéristiques, nous montre à voir une personne douce, emprunte d’attention, alors qu’au fond c’est tout le contraire qui l’anime, elle a des attentes impures.
  • – « l’arrogance » dénote d’un manque d’humilité, de modestie. La personne se sent supérieure en savoir, en possession. Elle ne considère pas ou peu l’autre.
  • – « la prétention », rejoint l’arrogance, la personne se considérant supérieure à autrui. 
  • – « la colère » pourrait découler des caractéristiques précédentes, car la personne se fourvoyant dans un rôle, une supériorité se sent différente et incomprise et en veut aux autres de ne pas la reconnaître comme elle se voit (elle ignore qui elle est véritablement), ce qui la met en colère, la rend dure.

 

Verset 5 : « La nature divine mène à la libération, et la nature démoniaque à l’asservissement. Ne te désole pas Ô Pāndava, tu es né avec des qualités divines. »

  • Kṛṣṇa vient d’énumérer les caractéristiques divines et démoniaques, des êtres bons et les êtres négatifs et il rassure Arjuna qu’en aux siennes. Nous pouvons tous nous interroger ! Notre chemin spirituel, nous fait quelquefois voir en face nos parts d’ombres, qui peuvent être classées négatives. Mais le fait d’avancer sur ce chemin, nous permet de nous libérer de nos entraves, la conscience nous accompagne à cela. Contrairement à la personne qui n’a pas conscience, qui ignore qui elle est et la possibilité qu’elle a d’évoluer.
  • C’est quand nous voyons nos parts d’ombres, quand elles nous répugnent que nous pouvons cheminer pour les transcender.
  • Nous sommes tous des êtres Divin, mais l’ignorance peut nous amener à vivre enfermés dans un rôle, nous pouvons faire le parallèle avec l’allégorie de la caverne de Platon.

 

Verset 6 : « Il y a deux types d’être dans ce monde, les êtres divins et les êtres démoniaques (deva et âsura). La nature divine a été longuement décrite. Ecoute maintenant la description de la nature démoniaque, Ô Pārtha. »

  • Kṛṣṇa nous explique qu’il y a 2 catégories d’être, une de nature divine, l’autre de nature démoniaque.

 

Verset 7 : « L’être démoniaque ne sait ce qu’il faut faire. On ne trouve en lui ni pureté, ni conduite juste, ni vérité. »

  • L’être démoniaque ne se voyant pas comme tel, il est incapable d’agir. Son mental est dispersé dans ses désirs, il se perd. Il ne peut être pur, ni se conduire avec justesse, et encore moins ne manière vrai, étant perdu intérieurement.

 

Verset 8 : Ils disent ; « Cet univers est dépourvu de vérité, de fondement moral, et de dieu ; il est né uniquement de l’union dans le désir sexuel. Qu’y a-t-il d’autre ? »

  • Pour la personne qui doute de la véracité d’un socle stable à la vie, à l’univers. Ne peut être que perdu dans le mouvement constant du monde, des choses, des êtres… Pour lui il n’y a que hasard et désir sexuel et rien d’autre. Pour cet être il n’y a rien qui sous tende l’équilibre à la vie.
  • Cet être ne perçoit pas sa part spirituelle, il est animé par son ego individuel, ses désirs sensuels et sexuels.

 

Chapitre 16– Daivāsura-Sampad-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la distinction – Versets 9 à 16 – Gaëtan 

Kṛṣṇa poursuit son développement qui discrimine les qualités propres aux personnes réalisées et les travers qui caractérisent les autres. Tous sont animés par la même étincelle divine mais le filtre de l’Illusion les maintient dans l’ignorance et les conduits à une vie de souffrance, de fatigue et d’erreurs.

 

Verset 9 : « Avec ces idées, ces âmes déchues dont l’intelligence est limitée et dont les actions sont criminelles, se dressent en ennemis du monde et œuvrent pour sa destruction.»

  • L’esprit matérialiste, cynique, alimenté par l’Illusion, ne peuvent pas voir le divin en eux et dans le monde.
  • Leur « intelligence » est « limitée », comme bornée par les limites propres au Champ perçus par les sens.
  • Ils ne se voient pas agir, souffrir et faire souffrir les autres par leurs « actions criminelles ». Ils sont ainsi « les ennemis du monde », agents de « destruction ».
  • Kṛṣṇa les qualifie « d’âmes déchues », des êtres divins qui agissent à l’opposé de leur nature et ce contraste est renforcé par les mots durs employés ici avec un champ lexical de la violence très percutant, pour marquer les esprits, les faire s’arrêter sur un sujet central : la conduite à absolument éviter, voire combattre.
  • En effet, Kṛṣṇa s’adresse au guerrier en nous, sur un champ de bataille, à lors qu’une bataille décisive s’apprête à éclater, mettant le monde en péril. La gravité de l’instant et des enjeux est ainsi mise en exergue.

 

Verset 10 : « En proie à des désirs insatiables, emplis d’hypocrisie, de fierté et d’arrogance, nourrissant des idées malfaisantes dues à l’illusion, ils agissent sous l’influence de résolutions impures »

 

  • Kṛṣṇa enfonce le clou. Aucun des motifs décrits ici, « désirs insatiables […] hypocrisie […] idées malfaisantes […] résolutions impures » n’est nouveau mail il vient insister sur les racines du mal.
  • L’illusion condamne ces hommes à être les esclaves de ce qu’ils perçoivent sans conscience, de désirs jamais satisfaits et les emmenant toujours plus loin dans la souffrance et la destruction. I
  • Ils ne peuvent faire autrement, guidés qu’ils sont, par des « résolutions impures » nées de l’ignorance, coupés de la Vérité, de Brahman.

 

Verset 11 : « Assaillis par d’innombrables soucis qui ne prennent fin qu’à leur mort, considérant la satisfaction des désirs comme le but suprême, et persuadés qu’il n’y a rien d’autre (qui importe) … »

Verset 12 : « Enchaînés par les centaines de liens que crée la fièvre de l’espoir, adonnés à la luxure et à la colère, ils s’efforcent d’obtenir par des moyens injustes, d’immenses richesses pour satisfaire leurs sens. »

  • Kṛṣṇa poursuit sa description effrayante d’êtres esclaves de leurs sens et de leur quête vide de sens d’accumulation de biens matériels et de plaisirs éphémères, nourrissant les émotions les plus basses ils sont les « ennemis du monde » décrits plus haut. Leurs actions ne peuvent mener qu’à plus de souffrance.
  • Ce tableau glaçant n’est pas sans faire écho à notre époque qui érige la matérialité au rang de divinité. Si des mouvements résistent à ces courants profonds qui mènent à toujours moins de conscience et de courage, toujours plus de séparation et d’égo, force est de constater que le pouvoir de destruction qui siège en chacun de nous trouve un Champ toujours plus vaste pour s’exprimer.
  • Les personnes les moins éduquées sont les premières à en payer le prix.

 

Verset 13 : « J’ai gagné ceci aujourd’hui ; « je dois satisfaire ce désir », « ceci est à moi » ; « cette richesse sera à moi demain ».

  • Kṛṣṇa se fait plus direct et évident. Il illustre ses propos avec des pensées brèves et éloquentes qu’il prête aux êtres perdus. Accumulation, désir, possession et poursuite de la satisfaction des désirs s’enchaînent à l’infini.
  • Les « âmes déchues » sont prisonnières de « demain » et d’hier (exprimé par « aujourd’hui » associé au passé composé). Le caractère laconique de ce verset vient souligner l’intelligence limitée décrite en amont.

 

Verset 14 : « J’ai tué cet ennemi et je vais en détruire d’autres ». « Je suis le Seigneur » ; « j’ai toute jouissance » ; « je suis parfait, puissant et heureux ».

  • L’égo est dépeint dans ses manifestations les plus caractéristiques : agression, séparation, arrogance, prétention, aveuglément… L’illusion est à l’œuvre, l’égo fonctionne avec ce qu’il connaît, le tangible, le matériel et croit qu’il domine sans voir qu’il s’enchaîne.

 

Verset 15 : « Je suis riche et bien né. « Qui d’autre m’égale ? » « Je vais offrir des sacrifices, faire la charité, et je me réjouirai. ». Ainsi parlent ceux qui sont égarés par l’ignorance.»

  • Ce verset est un commentaire en lui-même. Je m’attarderai simplement sur la notion de sacrifice qui est à nouveau convoquée. Je pense que le sacrifice nommée ici fait référence à l’ostentation du rituel extérieur et non à la démarche spirituelle qui consiste à dédier une action, une pensée, à un idéal supérieur et dans un but désintéressé.

 

Verset 16 : « Egarés par de multiples lubies, pris dans les rets de l’illusion, adonnés à la satisfaction de leurs convoitises, ils sombrent dans un enfer immonde. »

  • Ce verset semble encore une fois faire une synthèse provisoire. Les « âmes déchues » sont des âmes en peine, condamnées à errer sans conscience de leur situation et donc sans possibilité de changement.
  • Leur énergie est dispersée aux quatre vents, leurs actions n’atteignent aucun but véritable et entraînent d’autres actions tout aussi vaines engendrant toujours plus de souffrance.

 Ce verset se conclue par des mots glaçants et percutants : « ils sombrent dans un enfer immonde ». Comme s’il s’agissait-là de venir secouer le chercheur spirituel en lui rappelant pourquoi il doit continuer à cheminer.

 

Chapitre 16– Daivāsura-Sampad-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la distinction – Versets 17 à 24 – Nadège

Verset 17 : « Prétentieux, obstinés, emplis de fierté et enivrés par leurs richesses, ils accomplissent des sacrifices uniquement par ostentation, au mépris des injonctions des écritures. » ātma-sambhāvitāḥ stabdhā dhana-māna-madānvitāḥ / yajante nāma-yajñais te dambhenāvidhi-pūrvakam

  • Lorsque l’attachement à l’argent prime sur toutes les autres considérations, il y a un grand déséquilibre. L’argent et les biens matériels sont utiles pour mener notre vie, mais l’importance excessive accordée aux biens matériels va priver la personne de la possibilité de mener un cheminement spirituel. Plus il y a d’argent et de pouvoir et plus il y a de chance que la personne s’enfonce dans l’orgueil, devienne insensible et ne se soucie plus de plus de son comportement.
  • S’inscrire dans le Dharma, c’est constamment se rappeler le sentiment l’humilité, car elle seule est le garant d’un comportement sain.
  • Un mode de vie dharmique demande de maintenir l’harmonie autant que faire se peut : l’harmonie intérieure entre les pensées, les paroles et les actes. L’harmonie donc avec soi, son entourage et la société.
  • « Ils accomplissent des sacrifices uniquement par ostentation, au mépris des injonctions des écritures. » : Le sacrifice (Yajña) est le rituel, la pratique qui invite à honorer la vie dans toutes ses dimensions et si ces rituels sont pratiqués sans probité, alors ils ne servent qu’à jeter de la poudre aux yeux. C’est de la malhonnêteté. Il n’y a pas de réel travail intérieur de transformation, qui est essentiel pour cultiver véritablement nos capacités supérieures de bienveillance et compassion.

 

Verset 18 : « Emportés par l’égoïsme, la puissance, l’arrogance, la convoitise et la colère, ces êtres méchants Me Haïssent dans leur propre corps et dans celui des autres hommes. » ahaṅkāraṁ balaṁ darpaṁ kāmaṁ krodhaṁ ca saṁśritāḥ / mām ātmaparadeheṣu pradviṣanto’bhyasūyakāḥ

  • Quand l’égo prend le dessus et impose sa loi avec tout son lot de sentiments de séparation comme le d’abord pour soi, le despotisme, le mépris, la rapacité et l’aigreur, il est impossible d’honorer la Vie, le Soi, que ce soit pour soi-même que pour les autres.
  • Quand on se fourvoie ainsi, il est impossible de voir. Il n’y a pas de clarté mentale qui pourrait soulever le voile de cette illusion.

 

Verset 19 : « Ces êtres cruels, haineux, les pires parmi les hommes. Je les précipite à jamais dans les matrices démoniaques ». tān ahaṁ dviṣataḥ krurān saṁsāreṣu narādhamān / kṣipāmyajasram aśubhān āsurīṣveva yoniṣu

  • Lorsque nous rentrons dans ce tourbillon de la haine et de la cruauté, il est difficile d’en sortir. C’est le lit pour encore plus de souffrance, non seulement pour les autres, mais encore plus pour soi-même. Il y a toujours des conséquences à nos actes, c’est ce qu’on appelle « karma ». Ce ne sera peut-être pas dans cette vie-ci, mais les vāsanās (les empreintes mentales) seront de nouveau à l’œuvre dans la vie suivante, jusqu’à ce que la leçon que la vie est sacrée soit comprise.
  • « C’est la raison humaine qui a la capacité non seulement de comprendre ce qui se passe maintenant, mais aussi de tirer des conclusions par inférence des événements et des expériences du moment. » (Swami Krishnananda)
  • « On dit que l’argent peut acheter une maison, mais pas un foyer ; l’argent peut acheter un lit, mais pas le sommeil ; l’argent peut acheter des gens ; mais l’argent ne peut pas acheter l’amour. En fait, l’argent peut acheter beaucoup de choses ; mais les choses les plus importantes dans la vie, comme la paix, la connaissance, l’amour, toutes ces choses-là, l’argent ne les achète pas ». Ram Ramasvamy (école de l’advaïta Vedanta).

 

Verset 20 : « Engendrés dans les matrices démoniaques, égarés par l’illusion, ne M’atteignant pas naissance après naissance, ils tombent ainsi, ô Kaunteya (fils de kunti, fils de la terre, fils de l’énergie spirituelle), dans un état encore plus bas. » āsurīṃ yonimāpannā mūḍhā janmani janmani / māmaprāpyaiva kaunteya tato yāntyadhamāṃ gatim

  • Celui qui sombre dans ses travers, n’atteint jamais la Soi, la conscience et s’enfonce inexorablement dans les niveaux inférieurs de sa personnalité.
  • Nous sommes tous concernés dans cette strophe, car il existe en nous, toutes les possibilités, du bon comme du mauvais. La Bhagavad-Gīta nous amène dans cette profonde réflexion de qui nous sommes et de la manière dont nous nous comportons. Pour devenir meilleur, l’introspection est une clé importante. Et puis, ce texte donne aussi des pistes sur la manière dont nous pouvons avancer et comment il est possible de se réaliser.
  • Si nous persistons dans une démarche égotique, nous nous précipitons en quelque sorte en enfer, c’est-à-dire sans aucune échappatoire à la souffrance.
  • « ô Kaunteya » : Kṛṣṇa reprend ici le lien d’Arjuna avec sa nature sacrée (en comparaison), l’énergie qui lui permet de se reconnecter au Soi.

 

Verset 21 : « La porte menant à cet enfer, destructeur du soi a une triple entrée : la luxure, la colère et la cupidité. Par conséquent, il faut les abandonner toutes trois. »  trividhaṃ narakasyedaṃ dvāraṃ nāśanamātmanaḥ / kāmaḥ krodhastathā lobhastasmādetattrayaṃ tyajet 

  • L’enfer est évidemment un abîme intérieur qui engendre énormément de souffrance. Tout comme le paradis est un état de contentement et de bonheur.
  • C’est intéressant ici, ce qui est dit : les trois défauts mènent à l’enfer (à l’autodestruction) : luxure (le désir insatiable), colère et cupidité (l’avidité). Ces trois vices interagissent. Le désir insatiable mène à vouloir tout s’approprier (l’avidité) et tout ce qui se met en travers de ce désir entraîne la colère, la violence. Il faut donc les reconnaître en soi, s’en méfier, ne pas les laisser prendre le pouvoir et faire en sorte de s’en débarrasser.
  • A cette condition, nous pourrons revenir dans le la Conscience.

 

Verset 22 : « Un homme qui se libère de ces rois portes menant aux ténèbres, ô Kaunteya, pratique ce qui est bon pour lui, et atteint ainsi le but suprême.» etairvimuktaḥ kaunteya tamodvāraistribhirnaraḥ : ācaratyātmanaḥ śreyastato yāti parāṃ gatim

  • Libéré de ses trois défauts primordiaux, pourrait-t-on dire, il est alors possible d’œuvrer pour le meilleur, pour son propre bien-être et celui des autres.
  • Débarrassés des désirs insatiables, c’est-à-dire détachés des visions non durables, en reconnaissant les émotions passagères, etc., il sera possible de revenir dans le Soi.
  • La pratique constante (Tapas) est une condition essentielle pour réussir sur ce chemin, car il est très difficile d’épurer ce qui constitue les terribles tentations de l’ego.
  • Ce verset est intéressant, car il donne une piste très claire du chemin à suivre pour s’épanouir et participer à la plénitude du Monde.
  • On comprend que notre rôle ne limité pas à notre petit moi, mais que nous faisons partie d’une plus grande communauté dont toutes les composantes doivent s’équilibrer entre elles au mieux si nous voulons vivre au mieux. Chaque partie est responsable des autres.

 

Verset 23 : « Celui qui négligeant les prescriptions des Ecritures (śāstra), agit sous l’impulsion du désir, n’atteint jamais ni la perfection, ni le bonheur, ni le but suprême. » yaḥ śāstravidhimutsṛjya vartate kāmakārataḥ / na sa siddhimavāpnoti na sukhaṃ na parāṃ gatim

  • Libéré de ses trois défauts primordiaux, pourrait-t-on dire, il est alors possible d’œuvrer pour le meilleur, pour son propre bien-être et celui des autres.
  • Débarrassés des désirs insatiables, c’est-à-dire détachés des visions non durables, en reconnaissant les émotions passagères, etc., il sera possible de revenir dans le Soi.
  • Dans le symbolisme hindou, les nombreux démons sont tous voués à être détruits, ce qui signifie deux choses, d’une part que se laisser mener par le ou les démons nous conduit à notre propre perte et aussi que la « guerre » contre nos démons intérieurs sont un impératif pour garder l’équilibre non seulement intérieur mais aussi extérieur. Si ceux-ci prennent trop de pouvoir, c’est l’humanité toute entière qui est en péril. Nous le voyons aujourd’hui, la cupidité et le plaisir de quelques-uns met en difficulté la grande majorité des êtres vivants.
  • śāstravidhimutsṛjya : celui qui contrevient aux śāstras (dharma-śāstras : des textes du Mīmāṃsā : école des pratiques rituelles et de commentaires des textes ; ces textes donnent des indications quant à la manière de se comporter pour conserver l’harmonie sur la Terre) est un danger pour lui-même et pour la Vie. Cela signifie que nous avons aussi besoin des textes pour comprendre et nourrir notre pratique.
  • Le dharma (soutenir la Vie) comporte un côté restrictif, c’est-à-dire qu’il demande à réguler les désirs, tous les désirs qu’ils soient matériels, émotionnels, etc. Le dharma impose des limites (comme nous le faisons pour les enfants) pour permettre une vie communautaire harmonieuse et cohérente. Si quelqu’un s’approprie tous les biens matériels, il concourt au malheur des autres et ceci n’est pas dharmique.
  • Se conformer au dharma, c’est apprendre à se réguler pour vivre en paix.
  • L’être humain partage la Terre avec tous les êtres vivants et toute cette diversité permet l’équilibre.
  • Les quatre piliers de la Vie sont : dharma (donne la note restrictive – les lois cosmiques, éthiques -, car il est question d’équilibre, de soutien à la Vie, la Vie sacrée, l’harmonie), artha (le moyen d’accomplir ce qui est utile pour vivre c’est-à-dire avoir suffisamment pour vivre sans priver les autres), kāma (le désir ; le plaisir des sens, dans une attitude détachée et mesurée) et Mokṣa (la libération, la fusion avec la conscience).

 

Verset 24 : « Par conséquent, que les écritures soient pour toi l’autorité qui détermine ce qui doit être fait et évité. C’est en connaissant les prescriptions des Ecritures que tu dois agir dans le monde. »  tasmācchāstraṃ pramāṇaṃ te kāryākāryavyavasthitau / jñātvā śāstravidhānoktaṃ karma kartumihārhasi 

  • Les śāstras tout comme les gurus et le cœur sont des guides dans lesquels nous pouvons avoir confiance pour nous aider dans notre cheminement.
  • Depuis des millénaires, de nombreux pèlerins ont parcouru ce chemin et semé des pierres sur lesquels nous pouvons nous appuyer.
  • Ces textes sont précieux, et forgent aussi notre discernement pour comprendre ce qui est bon pour nous dans cette Vie que nous voulons accomplir pleinement.

 

Chapitre 17– Sraddhā-Traya-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la différenciation de la Foi – Versets 1  à 8 – Chérifa

Verset 1« Arjuna dit :  Quelle est la condition de ceux qui négligeant les prescriptions des écritures accomplissent le sacrifice avec foi, ô Kṛṣṇa ? Est-ce Sattva, Rajas ? ou Tamas ? »

  • Arjuna se demande, quelle est la qualité dominante d’un sacrifice accompli avec foi, si l’on ignore certaines normes ou traditions.
  • Ici, Arjuna fait référence au trois Gunas, les trois forces de la vie. Sattva Rajas et Tamas. Il demande qu’elle est la force qui agit dans un acte accompli sans suivre à la lettres les prescriptions des écritures mais avec foi.
  • On peut en déduire que ce qui compte n’est pas la conformité extérieure, mais la qualité et l’intention de l’action elle-même.

 

Verset 2 : « Le seigneur suprême dit :  La foi de chaque être incarné est triple : (…) Écoute ce que j’ai à te dire »

  • Kṛṣṇa explique ici que la foi n’est pas uniforme est que les 3 Gunas sont présents, selon la nature profonde de chacun.
  • Avec Sattva, l’action est accomplie avec équilibre, discernement et harmonie, sans attente de résultat personnel.
  • Avec Rajas, l’action est motivée par le désir ou l’agitation, même si elle semble désintéressée. Le résultat attendu influence le geste.
  • Avec Tamas, l’action est faite par routine, ignorance ou inertie, sans clarté ni engagement réel.

Dans ce verset, Kṛṣṇa expose le principe que ce n’est pas seulement l’acte qui compte, mais la qualité avec laquelle il est accompli.

 

Verset 3 : « La foi de chacun est conforme à sa nature, ô Baratha. L’homme est de sa foi. Il est ce qu’est sa foi »

  • La foi agit comme un miroir de notre nature profonde. Le même geste, un don, un service, un sacrifice peut être Sattvique, Rajasique ou Tamasique, selon le cœur qui le fait.
  • L’être agit selon la qualité de sa foi, c’est-à-dire selon la structure de sa compréhension et de ses motivations.
  • L’être devient ce qu’il croit, non par croyance religieuse, mais parce que son orientation intérieure façonne continuellement ses actes, ses perceptions et ses choix.
  • L’action désintéressée est un miroir, elle révèle la clarté ou l’agitation de la nature intérieure. Ce que l’on fait n’est jamais séparé de ce que l’on est.

 

Verset 4 : « Les sattviques adorent les dieux, Les rajastiques vénèrent les Yakṣas et les Rākṣasas. Les autres, les tamasiques adorent les fantômes et les légions de bhūtas »

  • Ce que l’on honore ou vénère reflète la qualité de nos actes et de notre attention.
  • « Adorent les dieux » : symboliquement, on peut comprendre que ce sont des êtres qui vont choisir de s’unir avec des énergies qui émanent plutôt, la clarté, la sagesse, l’ordre et l’harmonie. Leurs actions seront donc équilibrées, réfléchies et désintéressées, même si elles ont des effets dans le monde.
  • « Vénèrent les Yakṣas et Rākṣasas » : symboliquement, ce seront plutôt des personnes qui s’orientent vers des forces puissantes, qui sont productives mais potentiellement perturbatrices. Même dans les actions désintéressées, leur tendance au résultat peut créer agitation ou tension.
  • « Adorent les fantômes et les légions de Bhūtas» :  symboliquement, ce sont les être qui se tournent vers l’ombre, la confusion, l’inertie ou les automatismes. Même si l’action semble extérieurement bonne, elle peut manquer de clarté et d’efficacité.

Ces symboles montrent comment la nature de la foi ou de la motivation influence directement l’impact de nos actes.

 

Verset 5  : « Les hommes qui pratiquent de terribles austérités, non prescrites par les Écritures, qui sont dominés par l’hypocrisie et l’égoïsme, qui sont motivé par la force du désir et de l’attachement »

Verset 6 : « Qui torturent les éléments dans leur corps de façon déraisonnable, et Moi aussi qui réside dans leur corps, saches qu’ils sont démoniaques dans leur résolution »

  • Les « terribles austérités » symbolisent les efforts ou pratiques extrêmes, souvent imposés à soi-même ou aux autres, sans discernement ni objectifs. Même si elles semblent nobles, leur excès et leur absence de cadre prudent peuvent causer plus de tort que de bien. Ici, le verset attire l’attention sur la qualité et la motivation de l’action, pas sur sa grandeur apparente.
  • Lorsque les actions sont guidées par l’ego ou le besoin de paraître, elles perdent leur valeur réelle. Même un acte qui paraît vertueux peut devenir contre-productif si la motivation est centrée sur soi, le prestige ou la reconnaissance.
  • Ici, on souligne aussi que le désir intense et l’attachement aux résultats limitent la portée réelle d’une action.
  • Ici, «les éléments » peuvent être compris comme les aspects fondamentaux de notre corps et de notre organisme comme la respiration, l’énergie, l’équilibre physique et mental. Les « torturer de façon déraisonnable » symbolise les pratiques extrêmes ou destructrices, par excès de discipline, privation ou effort inadapté.
  • « Démoniaque dans leur résolution » : n’a pas besoin d’être lu au sens religieux. Il signifie ici une action contraire à la raison, à l’harmonie et au bien-être naturel, des efforts qui aliènent plutôt que libèrent, qui perturbent l’équilibre intérieur et extérieur. Même si l’intention semble noble, un excès ou une obsession transforme l’acte en force destructrice.
  • Les pratiques extrêmes ou les privations strictes, lorsqu’elles sont guidées par l’ego ou le désir de performance, risquent de déranger la santé, la clarté et l’équilibre. L’efficacité et la valeur d’une action résident dans l’harmonie entre effort et mesure, et non dans l’intensité ou la sévérité. 

Le message de ce verset est une recommandation à respecter son corps et sa nature car c’est la condition pour que nos efforts soient constructifs.

 

Verset 7 : « La nourriture qui est chère à tous, est aussi de trois sortes, comme le sont les sacrifices, les austérités et les dons. Écoute maintenant la distinction entre ces catégories »

  • Ici, la « nourriture » peut être comprise au sens large, c’est à dire : Ce que nous consommons physiquement (aliments). Et Ce que nous absorbons mentalement ou émotionnellement (idées, informations, expériences). Elle symbolise tout ce qui entre dans notre vie et contribue à notre énergie, notre santé et notre équilibre.
  • Chaque « ingestion » influence la clarté, l’équilibre et l’efficacité de nos actions.
  • Les trois qualités sont, Sattva, Rajas et Tamas :
  • Avec l’énergie Sattva, la nourriture ou la pratique favorise la clarté, la santé, l’équilibre et l’harmonie.
  • Avec Rajas, la nourriture ou la pratique excite, agite ou stimule excessivement, produisant désir ou tension.
  • Avec Tamas, la nourriture ou la pratique alourdit, engourdit, apporte de la confusion, limitant énergie et discernement.
  • L’idée centrale est tout ce que nous introduisons dans notre corps ou notre vie influence la qualité de nos actions, de la même manière que les sacrifices, les dons ou les austérités sont colorés également par Sattva, Rajas ou Tamas.
  • La « nourriture chère à tous » symbolise donc ce que nous valorisons et consommons régulièrement. Observer ce que nous choisissons de « donner » ou de « recevoir » dans notre vie permet de distinguer, ce qui nourrit en nous la clarté et la stabilité, ce qui nous agite ou nous épuise et ce qui nous alourdit ou nous plonge dans la confusion. Le verset enseigne la conscience dans nos choix quotidiens, en soulignant que même les gestes simples comme manger, apprendre, partager, portent la marque de notre disposition intérieure. 

Tout ce que nous consommons, donnons ou pratiquons influence notre équilibre et la qualité de nos actions. Agir avec discernement transforme la nourriture et les gestes ordinaires en sources de clarté et d’harmonie.
L’intention et la nature de celui qui agit déterminent si l’acte est Sattvique, Rajasique ou Tamasique.

 

Verset 8 : « La nourriture qui accroît la vie, la pureté, la force, la santé, la joie et la gaité, qui est savoureuse et oléagineuse, substantielle et agréable, est chère aux sattvique »

  • La nourriture n’est pas seulement physique, elle représente tout ce qui soutient et nourrit la vitalité, la clarté et le bien-être.
  • Les qualités mentionnées dans le verset, « vie, pureté, force, santé, joie et gaité, » reflètent les effets concrets et positifs d’une alimentation ou d’une pratique équilibrée et harmonieuse. Ce que nous consommons influence directement notre énergie, notre équilibre et notre capacité à agir efficacement et avec clarté.
  • Les caractéristiques de la nourriture Sattvique sont : « Savoureuse et oléagineuse »: elle apporte plaisir, énergie et satisfaction durable. « Substantielle et agréable » : elle nourrit profondément sans excès ni agitation. « Accroît la vie et la santé » : elle soutient la vitalité, la force et l’équilibre mental et physique.
  • L’idée centrale est qu’une « nourriture Sattvique » est celle qui soutient la vie et les fonctions naturelles, sans provoquer de déséquilibre ou de tension.
  • Ce verset ne parle pas seulement d’aliments physiques, mais de tout ce qui est intégré dans notre vie comme les expériences, les informations, les activités, les relations.
  • Ce qui est « Sattvique » dans la vie est constructif, clair et harmonieux, favorisant la santé, l’énergie et la joie. Choisir consciemment ce qui nous nourrit, tant physiquement que mentalement, améliore la clarté, la capacité d’action et la stabilité intérieure.
  • La qualité de ce que nous consommons transforme notre énergie et notre action. Nourrir le corps et l’esprit avec ce qui est équilibré, harmonieux et substantiel permet de maintenir force, joie et clarté, et rend nos actes plus efficaces et harmonieux.

 

Chapitre 17– Sraddhā-Traya-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la différenciation de la Foi – Versets 9  à 16  – Catherine

Verset 9 : « La nourriture amer, aigre, salée, très chaude, piquante, sèche et brulante, est appréciée des hommes rajasiques, et cause douleur, chagrin et maladie. »

  • L’homme choisit son alimentation, si celle-ci est de type amer, aigre, salée, très chaude, piquante, sèche et brulante, il aura des caractéristiques passionnées et instables, il souhaite satisfaire ses désirs, il peut être assez incontrôlable, ce qui procure douleur, chagrin et maladie. Il est à l’image des aliments rajasiques qu’il consomme.
  • Nos choix alimentaires, comme nos pensées, nos actes, nos paroles ont une influence sur la qualité de notre vie et sur notre chemin spirituel.

 

Verset 10 : « La nourriture qui n’est plus fraîche, qui est sans saveur, qui a une odeur fétide et qui est pourrie, qui est faite de restes et qui est impure, est la nourriture aimée par les tamasiques. »

  • D’après les anciens, les jours sont divisés en huit périodes de 3 heures. Dès que la nourriture a été préparée il y a plus de 3 heures, ou qu’elle a refroidi, elle était considérée comme « gâtée », elle n’est plus fraîche pour être consommée.
  • Aujourd’hui dans notre société et de part notre mode de vie, nous préparons à l’avance, ou consommons des aliments transformés ou conservons les fruits et légumes dans le réfrigérateur, ceci rendant les aliments impurs.
  • Certaines personnes aiment les aliments transformés, sans saveur, dont l’odeur est forte. Ces personnes sont ignorantes et peuvent être malade suite à l’ingestion de tels aliments.

 

Verset 11 : « Le sacrifice offert par les hommes qui n’ont aucun désir pour le fruit de l’action, accompli selon les prescriptions des Ecritures, avec la conviction que c’est leur devoir, est sattvique ou pur. »

  • Quand une personne fait un sacrifice sans attente sur le résultat, selon les Ecritures védiques, avec la ferme conviction que c’est ce qui est juste pour honorer le Divin, le cœur ouvert.
  • Ce type de sacrifice est de nature sattvique.  

 

Verset 12 : « Les sacrifices qui sont offerts avec un espoir de récompense ou bien avec ostentation, Ô Meilleur des Bharata, sache qu’ils sont rajasiques. »

  • Ce type d’action est accomplie dans l’espoir d’une récompense, d’un résultat, avec une certaine anxiété sur le but, l’ego étant le meneur. Ce type de sacrifice est de nature rajasique.

 

Verset 13 « Le sacrifice contraire aux prescriptions des Ecritures, dans lequel aucune nourriture n’est distribuée, où il n’y a ni chant de « mantra » ni distribution de dons (aux prêtres), et qui est accompli sans foi, est dit être de type tamasique. »

  • Ici, il est expliqué qu’un sacrifice qui ne suit pas les principes des textes sacrés, quand il n’y a pas de don à autrui, de nourriture, ou d’autres choses qui pourraient soutenir. Quand il n’y a pas de chant de mantra, sans offrandes aux prêtres. Et que ces offrandes sont accomplies sans dévotion alors ce type de sacrifice est de nature tamasique.

 

Verset 14 « L’adoration des dieux, de « deux-fois-nés », des enseignants et des sages, la pureté, la droiture, le célibat (brahmâcârya) et la non-violence, sont considérés comme l’austérité du corps. »

  • Nous naissons en tant qu’être humain, avec nos beautés et nos Vasanas, l’homme pur qui a réalisé le Soi, est « Deux fois nés », le Brahmane, est libre des limitations de la matière.
  • La pureté, tant extérieure, qu’intérieure, physique, que dans les pensées.
  • La droiture, avoir un comportement honnête dans ses actes, ses paroles et ses pensées.
  • La non-violence physique, verbale, mentale.
  • L’austérité physique permettant d’utiliser justement les objets afin de conserver de l’énergie pour poursuivre le chemin spirituel.
  • Ces pratiques sont préconisées pour facilité sa croissance spirituelle, à travers l’austérité du corps.

 

Verset 15 « La parole qui ne cause aucune excitation, qui est vraie, agréable et bénéfique, ainsi que la pratique de l’étude des Veda, constituent l’austérité par la parole. « 

  • La parole est un instrument puissant, qui non maîtrisée peut provoquer autrui. Les mots sont utilisés justement, qui soient agréables et bénéfiques. Il nous est dit que l’étude des Védas peut nous permettre de purifier notre parole et nous permettre de bonifier notre parole, afin de parler peu mais de manière Divine. L’austérité par la parole.

 

Verset 16 « La sérénité du mental, la bienveillance, le silence, la maîtrise de soi, la pureté des tendances, sont considérés comme l’austérité mentale. »

  • La sérénité du mental est présente quand la relation au monde est fondée sur la compréhension, la tolérance et l’amour. Si nous nous laissons emportés, nous nous éloignons de la sérénité.
  • Il est important d’utiliser le silence, la maîtrise de soi, de purifier notre mental, pour nous permettre d’évoluer sur notre chemin spirituel et nous libérer .

 

 

Chapitre 17– Sraddhā-Traya-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la différenciation de la Foi – Versets 17  à 24  – Gaëtan

Kṛṣṇa a présenté précédemment une triple austérité : du corps, de la parole et mentale. 

Verset 17 : « Cette triple austérité, pratiquée par des homes persévérants, avec une foi inébranlable, sans désir pour les résultats, est considérée comme sattvique. »

  • S’astreindre à des comportements guidés par un mental calme, un esprit capable de discriminer et dont la parole ne cause pas de tort, permet de tendre vers une purification du « tempérament ».
  • Ce verset rappelle les conditions nécessaires pour y parvenir : persévérance (dans le tapas), « avec une foi inébranlable » et de manière détachée.
  • A force de répétition le chercheur spirituel acquière les bases pour accéder à des vérités plus complexes, gravissant la montagne, spire après spire.

 

Verset 18 : « L’austérité pratiquée pour avoir des honneurs, la vénération, ou avec hypocrisie, est dite rajasique, instable et éphémère. »

  • Après avoir décrit l’austérité à laquelle tout chercheur spirituel doit prétendre, sous l’égide de la guṇa sattva, Kṛṣṇa donne les contre-exemples. Il commence par une austérité qui serait teintée par rajas. Le désir, l’ambition, l’orgueil en sont les ferments. Une telle austérité est qualifiée « d’instable et éphémère ». Mue par des passions elle ne peut mener vers la paix intérieure, durable ou non.

 

Verset 19 : « L’austérité pratiquée avec une obstination stupide, en se torturant ou dans le but de détruire quelqu’un, est dite tamasique. »

  • Ici, c’est tamas qui est au commande, l’ignorance et la violence en sont les caractéristiques.
  • Kṛṣṇa emploie des mots forts de manière laconique, comme pour signifier que cela ne nécessite aucun commentaire tellement le chemin du chercheur est contraire à ce qui est décrit.

 

Verset 20 : « Le don qui est fait avec la conviction que c’est un devoir, au moment et à l’endroit appropriés, à la personne qui en est digne, de laquelle on n’attend rien en retour, est dite être sattvique. »

  • A nouveau Kṛṣṇa délivre le modèle à suivre sous l’égide de sattva. L’aspirant à la réalisation s’inscrit dans le dharma pour faire ce qu’il sait intimement être ce qui est juste. Donner sans attente de contrepartie et à quelqu’un envers qui l’aide est légitime, c’est à dire, se montrer charitable fait partie du chemin.
  • Capable de discrimination, libéré de l’illusion et des attachements, il agit sans s’ajouter de vāsana et pourra espérer s’émanciper du saṃsāra.

 

Verset 21 : « Et le don qui est fait avec l’espoir d’un retour ou l’attente d’un gain, ou bien à contre- cœur, est tenu pour rajasique.»

  • Rajas, sur le plan psychologique, est caractérisé par les mouvements de l’ego liés au désir. Cela est incompatible avec la véritable charité décrite au verset précédent.
  • Cependant il faut garder à l’esprit qu’il s’agit d’un chemin et ne pas se lamenter si l’on ne parvient pas aujourd’hui ou demain à ce détachement érigé au rang d’idéal.
  • Kṛṣṇa démontre ici, qu’il est un maître sévère mais juste et compréhensif.

 

Verset 22 : « Le don fait en des lieux et à des moments inopportuns, à des personnes qui n’en sont pas dignes, sans respect ou de façon insultante, est dit être tamasique. »

  • Ce verset est comme le miroir inversé du verset 20. Aux antipodes de sattva, pure et lumineuse, tirant l’homme vers le haut, sa réalisation, tamas corruptrice et obscure nous attache aux affres de la bestialité.
  • L’ignorance est aux commandes, l’illusion domine, l’action ne peut être dharmique lorsqu’elle est teintée par ce guṇa.

 

Verset 23 : « OM TAT SAT » Telle est traditionnellement la triple désignation de Brahman. Par cela furent créés jadis les Brâhmana, les Veda et les sacrifices. »

  • Il s’agit du « nirdeśa » (triple désignation) le plus utilisé dans les rituels védiques. « Om » peut être traduit par l’Absolu, l’origine de tout ; « Tat » par Vérité universelle ; « Sat » par Réalité.
  • Brahman est le Tout, le seul phare qui mérite d’être suivi, la Vérité qui transcende tout le reste. Il s’agit de la cause primordiale autant que de l’essence de tout.
  • Les vérités connues des hommes en procèdent donc (« Veda »), les actes justes sont menés dans sa direction (« sacrifices ») et les hommes réalisés sont ceux qui l’ont atteint (« Brahmana »).

 

Verset 24 : « Par conséquent c’est avec la prononciation de OM que commencent les actes sacrifice, les dons et les austérités prescrits par les écritures, toujours accomplis par ceux qui étudient Brahman. »

  • Puisque tout procède de Brahman, ceux qui aspirent à le connaître s’y réfèrent en premier lieu en évoquant son caractère originel, avec le son « OM » ; son des origines.
  • Tout acte dharmique est empreint de sa résonance. Le prononcer c’est mettre dans le monde manifesté ce qui le sous-tend de manière intrinsèque, essentielle.

 

Chapitre 17– Sraddhā-Traya-Vibhāga-Yoga – Le yoga de la différenciation de la Foi – Versets 25  à 28  – Nadège

Verset 25 : « Ceux qui aspirant à la libération accomplissent les actes de sacrifice, les austérités et les divers actes de charité, en prononçant le mot « Tat », sans attendre le fruit de leurs actes. » tadityanabhisandhāya phalaṃ yajñatapaḥkriyāḥ / dānakriyāśca Vivihāḥ kriyante mokṣakāṅkṣibhiḥ 

  • « Om Tat Sat » désigne la vérité suprême, la conscience. Tous les rituels se réfèrent à ce mantra qui, par sa vibration, nous permet faire vivre cette conscience. Chaque mantra correspond à une fréquence spirituelle spécifique et lorsque le mantra rentre réellement en résonnance intérieurement, il va submerger tous les autres états vibratoires.
  • « Tat » exprime l’état transcendant de Brahman.
  • Brahman (la conscience) est au cœur des rituels, de la pratique, de la générosité (par les dons) et la prononciation de « Tat » permet d’agir sans ego et sans attente.
  • « Sans attendre le fruit de leurs actes » : il n’y a rien attendre, tout est là.

 

Verset 26 : La mot « SAT » est utilisé dans le sens de la Réalité et de la Bonté. De Plus ô Pārtha, ce mot « SAT » est utilisé pour un acte propice. » sadbhāve sādhubhāve ca sadityetatprayujyate / praśaste karmaṇi tathā sacchabdaḥ pārtha yujyate

  • « Sat » exprime l’état immanent de Brahman dans le monde de la création.
  • « Sat » nous rappelle que Brahman est présent en tout et partout : oṁ pūrṇam adaḥ / pūrṇam idaṁ /pūrṇāt pūrṇam udacyate / pūrṇasya pūrṇam ādāya pūrṇam evāvaśiṣyate / oṁ śāntiḥ śāntiḥ śāntiḥ (Bṛhadāraṇyaka upaniṣad)oṁ pūrṇam adaḥ Om : Cela, Brahman est la plénitude infinie. – pūrṇam idaṁ : Ceci, l’univers manifesté est la plénitude infinie. – pūrṇāt pūrṇam udacyate : La plénitude infinie qui est le monde manifesté prend naissance de la plénitude infinie qui est Brahman. – pūrṇasya pūrṇam ādāya :  Quand l’infini qui est le monde manifesté est retiré de l’infini qui est Brahman. – pūrṇam evāvaśiṣyate : Seule demeure la plénitude infinie de Brahman.

 

Verset 27 : « La persévérance dans le sacrifice, l’austérité et le don est aussi appelée « SAT ». Est également appelé « SAT », l’action de ce type accomplie en lien avec (ces trois actions sacrées) (ou pour la Suprême). » yajñe tapasi dāne ca sthitiḥ saditi cocyate / karma caiva tadarthīyaṃ sadityevābhidhīyate

  • C’est aussi la constance dans la pratique et dans la manière de se conduire dans la vie ; la confiance et l’abandon dans cette pratique et dans la vie, la bienfaisance envers le monde qui sont appelés « SAT », car « SAT » est l’action qui dénoue les vāsanas et permet l’alignement et la droiture.

 

Verset 28 : Tout ce qui est accompli sans foi, que ce soit le sacrifice, le don ou l’austérité, est appelé « asat », ô Pārtha. Cela ne représente rien, ni ici, ni dans l’au-delà. » aśraddhayā hutaṃ dattaṃ tapastaptaṃ kṛtaṃ ca yat / asadityucyate pārtha na ca tatpretya no iha.

  • Ce qui est dit ici est très important, car sans foi, c’est-à-dire sans abandon inconditionnel, l’action ne pourra être constante.
  • Tout rituel, toute pratique, tout don doit venir de la conscience, avec la conscience, dans la conscience, sinon c’est « asat », l’irréalité, māyā, l’illusion qui ne peut nous sortir d’aucune ornière.
  • Śraddhā : la foi : pour réaliser quoi que ce soit dans sa vie, il faut y croire.
  • Ce chapitre est consacré à la question de ce qu’est la foi dans ses aspects sattvique, rajasique et tamasique. L’objectif est de s’engager essentiellement dans les formes sattviques, car elles sont les seules à favoriser le développement spirituel.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 1  à 4  – Nadège

« Brahmavidyāyāṁ yogaśāstre śrīkṛṣṇārjunasaṁvāde » : Cette note finale apparaît à la fin de chaque chapitre et résume ce qu’enseigne ce texte sacré, c’est-à-dire : la théorie, la pratique et la réalisation.

Chaque personne paraît être une entité en soi, mais si nous considérons les choses d’une manière globale, nous nous apercevons que d’une part, la réalité d’une chose n’est pas uniquement dans ce qu’elle est, mais dans ce qui la détermine, la délimite, la conditionne. Chacun a peut-être l’impression d’être un individu isolé, cependant la société dans laquelle nous vivons :  conditions sociales, politiques et psychologiques nous définissent ; l’individualité déjà de ce point de vue est une chimère. Tous les mouvements extérieurs nous influencent. Toute la science et l’art de la Bhagavadgītā est de nous apprendre à nous éduquer nous-même, à percevoir correctement le monde tel qu’il est ainsi que soi-même, car la plupart du temps, nos perceptions ne sont que partielles et partiales. C’est une limitation. Pour «comprendre » le concept de la Conscience ou de l’Absolu, il faut s’élever au-delà des apparences extérieures et pénétrer au cœur des choses. Dans de nombreux versets de la Bhagavadgītā, il est répété que dans la perception totale des choses, nous ne sommes pas ce que nous pensons être, ni autre chose que ce nous sommes.

La théorie est importante, mais à quoi sert cette connaissance ? Elle doit être mise en application dans la vie, en toute situation : être des personnes entières et complètes en toutes circonstances : notre comportement doit être constant. Et Le but ? entrer en relation avec la conscience cosmique. Pour cela, il faut garder cette relation seconde après seconde, dans l’ici et le maintenant. La conscience n’est pas à atteindre, elle est là. Elle vibre partout.  Contacter cette conscience, c’est se libérer du temps et de l’espace. La pratique et la discipline sont des compagnons nécessaires pour réaliser la lumière de cette conscience. Connaître, agir et réaliser dans l’ouverture de toutes les portes et fenêtres de notre « personnalité ». C’est une fusion.

La Bhagavadgītā est une méditation, un guru, qui nous guide de là où nous en sommes pour nous élever, palier par palier. Elle est enseignée sur un champ de bataille qui est la vie. Elle est au cœur de la vie, car la vie spirituelle n’est pas uniquement une possibilité d’accomplissement dans le futur, mais dans le réalisme du moment présent, de la situation présente. Nous sommes faits de « terre », nous sommes les créatures de la terre, et c’est dans ces circonstances que nous vivons notre condition spirituelle, pas en dehors, mais dedans. Le premier chapitre donne à voir sur la conjoncture du moment, comprendre où nous en sommes aujourd’hui, ne pas fuir ce qui est, même si c’est difficile. Chaque pas est un pas assuré depuis une situation assumée. Sinon, il n’y aura pas d’avancée. Il faut beaucoup de courage pour affronter nos Kauravas, qui sont nos amis/ennemis de notre propre vie, les surmonter, les dépasser. Ce combat intérieur est loin d’être facile, car les forces avec lesquelles nous allons nous confronter sont très puissantes, très ancrées. Les trois guṇas qui sont nos propres éléments constitutifs et ceux de Prakṛti (du monde phénoménal) agissent dans toutes les facettes du monde, intérieures et extérieures et il va falloir s’y opposer, les réguler, etc. La voie est longue avec beaucoup d’obstacles, car « tapas », les efforts constants vont réveiller le tigre en nous. Il montrera les dents, il va raviver de vieilles émotions oubliées, il va révéler les potentialités subconscientes inassouvies et les désirs mesquins. Rien ne sera épargné. Il faut être préparé à toutes les éventualités : Arjuna a demandé : « Même face à ces gens, et même si je suis le meilleur des chercheurs spirituels, quelle est la garantie de ma réussite ? Ce n’est pas facile d’abandonner tous les désirs de réussite, de pouvoir, de richesse matérielle. Mais dans la persévérance, il y a de nombreux cadeaux qui vont émerger, moins de tension, d’agitation, plus d’écoute et de douceur et de paix. La stabilité de « ces cadeaux » dépend de cette constance dans la relation à la vie.

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement

Verset 1 :  Arjuna dit : « ô Guerrier aux bras puissants, je désire connaître successivement l’essence ou la vérité du Renoncement (saṃnyāsa), ô Hṛṣīkeśa (le seigneur de tous les sens), et aussi celle de l’Abandon (tyāga), ô destructeur de Keśī (un démon du mahābhārata). arjuna uvāca / saṃnyāsasya mahābāho tattvamicchāmi veditum / tyāgasya ca hṛṣīkeśa pṛthakkeśiniṣūdana 

  • Ce chapitre commence par une demande d’Arjuna pour une définition précise et complète de deux termes très fréquemment utilisés dans la Gītā : saṃnyāsa : le renoncement et Tyāga, l’abandon.
  • Kṛṣṇa va répondre de manière très sérieuse et détaillée, car il n’y a pas de saṃnyāsa (renoncement) sans tyāga, (abandon).

 

Verset 2 :  Le seigneur suprême dit : « les sages considèrent le saṃnyāsa comme étant le renoncement aux actions accomplies avec désir ; les hommes sages déclarent que l’abandon des fruits de toutes les actions est tyāga ». śrībhagavānuvāca /  kāmyānāṃ karmaṇāṃ nyāsaṃ saṃnyāsaṃ kavayo viduḥ / sarvakarmaphalatyāgaṃ prāhustyāgaṃ vicakṣaṇāḥ

  • Le désir c’est une attente de quelque chose, d’un résultat, dans le futur. Le renoncement aux actions accomplies avec désir, c’est renoncer à l’anxiété de l’attente, c’est rester dans le présent. Le désir est l’attente de l’ego. Cette attente provoque des perturbations mentales qui sont néfastes à la paix intérieure.
  • L’abandon aux fruits de l’action (qui est le résultat), c’est se défaire de l’attachement. L’attachement est toujours source d’agitation, peur de perdre, peur de ne pas avoir assez, de ne pas avoir comme on voudrait, etc.
  • Le renoncement et l’abandon sont des conditions sine qua none pour briser les chaînes de l’illusion. L’illusion que les choses pourraient être autrement. Les choses sont ce qu’elles sont au moment présent.
  • Tyāga est la voie (abandonner le fruit de toute action), saṃnyāsa (abandonner les actions empreintes de désir) est l’objectif.

 

Verset 3 : « Certains philosophes déclarent que toutes les actions doivent être délaissées comme étant un mal. Alors que d’autres (déclarent) que les actes de sacrifice, le don et l’austérité ne doivent pas être abandonnés ». tyājyaṃ doṣavadityeke karma prāhurmanīṣiṇaḥ / yajñadānatapaḥkarma na tyājyamiti cāpare

  • « Certains philosophes déclarent que toutes les actions doivent être délaissées comme étant un mal » : Toute action comporte l’idée de désir d’une certaine manière et comme telle, elle devrait être abandonnée.
  • «Alors que d’autres (déclarent) que les actes de sacrifice, le don et l’austérité ne doivent pas être abandonnés » : cependant, toutes les actions ne sont pas de même nature. Alors que certaines sont malsaines, d’autres vont permettre de rétablir de l’harmonie et/ou de purifier. Cette voie philosophique recommande de ne pas délaisser les actions saines qui sont yajña (les rituels accomplis dans l’intention d’harmoniser et de coopérer avec le processus cosmique ; concerne le cosmos), dāna (la générosité authentique ; concerne les autres) et tapas (l’ascèse ; nous concerne).
  • Ce qui est important à se rappeler, c’est de rejeter les actions néfastes et se concentrer sur ce qui est bon dans un esprit désintéressé. Par conséquent, nous ne pouvons pas dire que nous ne devons rien faire. Nous devons agir pour notre bien-être, celui des autres et la satisfaction de la Conscience elle-même.

 

Verset 4 : « Entends de Moi la Vérité définitive à propos de cet abandon, ô Meilleur d’entre les Bharata. On déclare que l’abandon est véritablement de trois sortes, ô Tigre parmi les hommes. » niścayaṃ śṛṇu me tatra tyāge bharatasattama / tyāgo hi puruṣavyāghra trividhaḥ samprakīrtitaḥ

  • Le renoncement est certainement la chose la plus difficile qui soit, car le désir est une faculté structurante de l’être humain.
  • Il faut faire appel à ce qu’il y a de meilleur en nous pour que nos actions deviennent les plus alignées possible.
  • Les trois types d’abandon sont toujours teintés pas les guṇas : il a l’abandon sattvique, rajastique et tamasique.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 5 à 12 – Chérifa

Verset 5 : « Les actes de sacrifices, la charité et l’austérité, ne doivent pas être abandonnés, mais doivent être accomplis. L’adoration, la charité et aussi l’austérité purifient même les sages »

  • Les actes de sacrifice, de charité (le don) et d’austérité sont les formes d’action constructive et consciente,
  • Le sacrifice est l’acte fait pour le bien commun, sans recherche personnelle
  • Donner de son temps, de son énergie, de ses capacités au service de quelque chose de plus grand que soi.
  • « La charité » ou le don, permet l’ouverture du cœur, faire preuve de générosité, c’est à dire avoir la capacité de partager sans attente. Le don n’est pas seulement matériel, il inclut la parole bienveillante, l’écoute, la patience.
  • « L’austérité » c’est-à-dire a discipline, l’effort constant pour se maîtriser, se clarifier, s’alléger des excès. C’est la constance tranquille dans l’effort juste.
  • Ces trois actes doivent être accomplis par tous. « Purifient même les sages ». Ce passage affirme que personne n’est au-dessus de l’action juste. L’action devient un moyen de raffiner la conscience, Ce n’est pas ce que l’on fait qui purifie, mais la qualité intérieure avec laquelle on agit.

Ce verset, ne parle pas de rites religieux, mais de valeurs universelles, tel que l’engagement, la discipline, et la générosité. Il souligne que l’action consciente est un moyen de purification naturelle, elle affine le caractère, apaise le mental et développe la lucidité. Même le sage grandit encore dans l’action juste, car c’est par elle que se maintient l’équilibre du monde, l’équilibre du Dharma.

 

 

Verset 6 : « Mais même ces actions doivent être accomplies sans attachement ni désir pour les fruits, ô Pārtha. Ceci est ma conviction certaine et définitive. »

  • Ici, Kṛṣṇa met en lumière, la qualité intérieure avec laquelle on agit. L’acte juste ne dépend pas seulement de ce que l’on fait, mais de la conscience qui l’anime.
  • L’action n’est alors plus libre, si elle est liée au désir de résultat. « Ces actions » vues au verset 5 : « Les actes de sacrifices, la charité et l’austérité » doivent être accomplies avec soin, présence et discernement sans se contracter autour de l’idée d’un gain, d’une récompense ou d’une reconnaissance.
  • L’action désintéressée ne nie pas le fruit, elle le laisse simplement suivre son cours naturel, sans l’imposer ni le revendiquer. 

Ce verset nous invite à comprendre que ce n’est pas l’action qui lie, mais l’attachement à ses fruits. Ce n’est pas l’abstention qui libère, mais la lucidité dans l’acte, ainsi la sagesse consiste à faire sans s’approprier. Agir sans attachement, c’est laisser la vie s’exprimer à travers soi, sans vouloir la forcer, la retenir ou la posséder.

Verset 7 : « En vérité, le renoncement aux actions obligatoires est vraiment impropre. Leur abandon, dû à l’erreur, est considéré comme tamasique »

  • On pourrait confondre le renoncement avec l’abandon de toute action, ne plus agir, ne plus s’impliquer, se retirer du monde.
  • Kṛṣṇa met en garde contre un faux détachement, né de la lassitude, de la peur ou de la confusion. Renoncer à agir parce qu’on fuit la difficulté ou la responsabilité, ce n’est pas la sagesse, c’est un acte d’illusion (tamas).
  • Il y a une forme d’inaction qui semble paisible, mais qui en réalité est un refus de vivre. On s’imagine « détaché », alors qu’on est simplement démotivé ou blessé. On s’abstient de faire, non par clarté, mais par découragement ou par peur de l’échec.
  • Ce renoncement-là est dit « tamasique », car il provient d’un voile sur la conscience, l’action n’est pas vue pour ce qu’elle est c’est-à-dire, une occasion d’exprimer la vie.
  • Ce que Kṛṣṇa appelle « actions obligatoires », ici, ne désigne pas des rites religieux, mais les devoirs inhérents à la condition humaine : aimer, protéger, créer, apprendre, contribuer, soutenir la vie autour de soi.
  • Abandonner cela, c’est rompre le lien de vie avec le monde, et se couper du mouvement même de la conscience. Ainsi, fuir l’action, renoncer par peur ou paresse, nous emmènent dans plus d’obscurité. Alors qu’agir avec clarté, mais sans attachement nous permet d’accéder à la vraie liberté. Le sage ne rejette pas l’action, il la purifie de l’illusion du « moi qui agit ». Ainsi, il demeure en paix, même au cœur du mouvement.

 

Verset 8 : « Celui qui, par peur de la souffrance physique, abandonne l’action parce qu’elle est trop douloureuse, se livre à un abandon rajasique (passionné), et n’obtient pas le fruit de cet abandon »

  • Ce verset met en lumière une autre forme de faux détachement, la fuite du désagréable (rajas). On se dit qu’on renonce, mais en réalité on évite ce qui dérange ou fatigue.
  • L’action devient trop exigeante, trop incertaine, trop inconfortable… alors on s’en détourne, en croyant « laisser aller ». Ce renoncement-là n’est pas une libération, mais une réaction émotionnelle. Quand l’action heurte nos attentes, notre confort ou notre image, le « moi » cherche aussitôt à se protéger. Il appelle cette fuite, « renoncement », mais elle est alimentée par le désir d’éviter la souffrance.
  • C’est une forme subtile d’attachement car on reste attaché à son bien-être, à son idée de tranquillité, à son confort psychologique.

Le verset ne dit pas qu’il faut aimer la souffrance, mais qu’il faut cesser d’agir ou de ne pas agir en fonction d’elle. La sagesse n’est pas dans l’endurance aveugle, mais dans la stabilité intérieure qui fait que l’on agit sans que la douleur ou la fatigue ne dictent nos choix. Celui qui agit par peur ou par confort reste lié, car il continue d’être déterminé par ce qu’il cherche à éviter.

 

Verset 9 : « Lorsqu’on accomplit un devoir uniquement parce qu’il doit l’être, ô Arjuna, sans attachement ni désir pour le fruit, cet abandon est considéré comme sattvique (pure) »

  • L’être éclairé n’agit pas pour obtenir quelque chose, ni pour éviter quelque chose, mais par fidélité à ce qui est juste, naturel et nécessaire. Son acte ne dépend plus de la récompense ou de la peur, mais d’une clarté tranquille.
  • « C’est à faire, donc je le fais », il ne cherche ni gloire ni résultat, il agit par cohérence intérieure.
  • Renoncer au besoin de reconnaissance, à la peur de l’échec, ou à la volonté de tirer un bénéfice, c’est se libérer de cet espace en nous qui s’approprie l’acte. L’action devient alors pure, non pas au sens moral, mais au sens libéré de toute projection égotique.

Kṛṣṇa appelle ce renoncement « sāttvique », c’est-à-dire lumineux, équilibré, paisible. Ce n’est ni une fuite (tamas), ni une tension (rajas), mais un état d’unité intérieure : le geste, la pensée et l’être sont accordés.

 

Verset 10 : « L’homme de renoncement, imprégné de pureté, intelligent, ayant tranché tous ses doutes, ne rejette pas l’action désagréable et n’est pas non plus attaché à l’action agréable. »

  • Le verset 10 poursuit la réflexion sur le véritable renoncement. Après avoir distingué les formes obscures, passionnées, et pure. Kṛṣṇa décrit ici l’attitude intérieure de celui qui agit en pleine lucidité, sans se troubler devant les résultats de ses actes.
  • Ce verset introduit une vision de la liberté intérieure. Le vrai renonçant n’est pas celui qui choisit le plaisir et évite la peine, mais celui qui demeure équilibré face aux deux. Il voit la vie telle qu’elle se présente, sans préférer ni rejeter. La clarté du discernement remplace alors les réactions impulsives du « j’aime » et du « je n’aime pas ».

Ainsi, Kṛṣṇa résume ici l’essence du renoncement, agir sans répulsion ni attachement, dans la clarté et la simplicité. C’est un état où l’on ne se retire pas du monde, mais où le monde ne nous entraîne plus dans sa dualité. Être libre, c’est ne plus dépendre du plaisir pour agir, ni du déplaisir pour s’arrêter. C’est vivre en accord avec ce qui est.

 

Verset 11 : « Il est véritablement impossible pour un être incarné d’abandonner totalement les actions, mais celui qui abandonne le fruit des actions est appelé un homme de renoncement (tyāgī) »

  • Ce verset rappelle qu’agir est inévitable. Même le repos, la réflexion ou l’inaction sont des formes d’action. La vie exige une participation constante, qu’on le veuille ou non car nous sommes toujours engagés dans des interactions et des choix.
  • Le renoncement n’est pas une fuite ou une abstention totale, mais une manière de rester libre à l’intérieur de l’action. Dans la vie quotidienne nous ne pouvons pas arrêter de travailler, de décider ou de prendre soin des autres. Mais on peut choisir de faire chaque geste avec clarté, conscience et détachement.
  • Cette attitude purifie l’action et transforme le quotidien en un espace de liberté et de paix.

 

Verset 12 : « Le triple fruit de l’action – néfaste, positif ou mélangé – après la mort échoit seulement à ceux qui n’ont pas l’esprit d’abandon, mais jamais aux hommes de renoncement »

  • Ce verset exprime une vérité universelle : toute action entreprise avec un désir de résultat crée une conséquence, une onde de cause et d’effet qui revient tôt ou tard vers celui qui agit.
    C’est la loi naturelle de résonance entre intention, action et expérience.
  • « Le triple fruit de l’action », la première cité est le résultat néfaste, ce qui engendre souffrance, trouble ou division. Il découle d’actions issues de la peur, de la colère, ou de l’avidité.
  • Le deuxième est le résultat positif Ce qui engendre joie, bien-être, harmonie. Il résulte d’actions empreintes de clarté, de bienveillance, d’équilibre.
  • Et le troisième, le résultat mélangé, qui contient les deux aspects à la fois c’est à dire plaisir et peine, gain et perte.
  • « Après la mort échoit seulement à ceux qui n’ont pas l’esprit d’abandon » : chaque fois qu’une action s’achève, elle laisse un écho, un résidu psychique, si elle a été faite avec attachement. Cet écho devient la « trace » qui conditionne la suite : nos tendances, nos réactions, nos désirs futurs.
  • Le verset ajoute « mais jamais à l’homme de renoncement » :   Le renonçant, ici, n’est pas celui qui cesse d’agir, mais celui qui laisse l’action se faire à travers lui, comme une expression naturelle de la vie, sans y superposer la revendication du « moi ». Par conséquent, le fruit de l’action n’appartient qu’à celui qui agit pour un résultat. Mais celui qui agit sans attachement, sans s’approprier le résultat, ne laisse aucune empreinte psychique, l’acte s’épuise dans sa pureté même.
  • Il n’y a plus de continuité de désir, donc plus de « fruit à recevoir ». La justesse même de l’acte, demeure intact, quelles qu’en soient les conséquences.

L’action crée des fruits pour celui qui s’y attache, mais celui qui agit sans appropriation intérieure goûte la paix de ne rien posséder, ni gain, ni perte, seulement le mouvement pur de la vie à travers lui.

 

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 13 à 20 – Catherine

Verset 13 – « Apprends de Moi, Ô Guerrier aux bras puissants, les cinq causes de l’accomplissement des actions, comme cela est déclaré dans le système de pensée Sāṅkhya (Upaniṣad), qui est la fin de toutes les actions ».

  • Nous agissons en fonction de 5 principes, pour mener à bien chaque acte dans le détachement de l’attente d’un résultat, sans l’intervention égotique.
  • Qu’est ce qui nous fait mettre en action, quels sont les raisons ? D’où partent t’elles et ont t’elles un but ? Krsna nous explique que pour accomplir et mener à bien une action, 5 facteurs doivent se coordonner pour que l’action s’achève parfaitement, quel que soit le domaine.

 

Verset 14 : « (Ce sont) le siège (le corps), l’auteur (l’ego), les organes de perception, les différentes fonctions des organes d’action, et aussi la divinité qui y préside, qui est le cinquième (constituant) ».

 Voici énumérés, les 5 principes de l’action.

  • Le siège de l’action est le corps, il reçoit des stimuli via les organes des sens et des réponses à ces stimuli se présentent. Le corps seul ne peut agir, s’il n’y a pas l’agissant, l’ego, conduit par des désirs, faisant l’expérience du monde par les perceptions sensorielles.
  • Les organes de perceptions : Jñānendriya : oreille – peau – yeux – langue – nez, sont les portes d’entrées entre l’extérieur et l’intérieur.
  • Les fonctions des organes d’action : prāṇā, apāna, udāna, samāna et vyāna, permettent l’arrivée d’énergie (air, nourriture et les impressions sensorielles) – l’expression, la volonté et l’évolution de la conscience – assimilation par la digestion alimentaire, l’absorption de l’O2, la compréhension des expériences – Extériorisation des déchets qu’ils soient physiques et mentaux – La puissance dans le mouvement.
  • Chaque organe de perception est gouverné par les 5 éléments, qui sont considérés comme des divinités : l’oreille : l’éther ; la peau : l’air ; l’œil : le feu ; la langue : l’eau ; le nez : la terre

 

Verset 15 : « Quelle que soit l’action accomplie par un homme avec son corps, sa parole et son mental, qu’elle soit juste ou injuste, ces cinq facteurs en sont la cause. »

  • Une action noble ou non, accomplie avec le corps, la parole et le mental est issue des 5 facteurs.
  • L’action agit à travers le corps, la parole, le mental avec justesse ou non.
  • L’âme incarnée oubliant son caractère divin, conditionné par ses désirs, devient l’ego qui agit, l’action est donc incarnée, mais le Divin présent en tout, est présent dans cette corporalité sans être l’acteur de l’action.

 

Verset 16 : « Cela étant, celui qui, à cause d’une intelligence peu développée, considère le Soi, l’Absolu (inconditionné par la matière), comme l’auteur de l’action, égaré par une vision erronée, en vérité, ne voit pas. »

  • Il nous est décrit la connaissance inférieure qui considère le Soi, comme l’auteur de l’action.
  • L’âme incarnée qui est incapable de discriminer le réel de l’irréel, il n’a pas de recul et suffisamment de conscience sur ses mouvements intérieurs liés à ses désirs, à ses perceptions sensorielles, au mouvement de son mental, à son ego et aux Guṇas.
  • Celui-ci voit son petit soi en étant persuadé que c’est le grand Soi qui œuvre à travers lui.

 

Verset 17 : « Celui qui est libéré de l’égoïsme, dont l’intelligence n’est pas souillée (par le bien ou le mal), même s’il tue ces hommes, il ne les tue pas et n’est pas lié (par son action). »

  • A partir du moment où l’être agit à travers l’amour divin, « il ne tue pas, il n’est pas lié (par son action) », si l’être est empreint de désirs destructeurs, portant en lui des empreintes de meurtriers, il ne fait que les développer en tuant.
  • Quand je tue le désir et le résultat de l’action, en étant dans l’action juste, divine, sans attachement aux résultats de l’action. Alors le résultat de mon action est empreint de la sagesse divine, quel que soit le résultat.
  • Quand l’ego, le désir guide l’action, il laisse des traces mentales. Alors que quand c’est l’amour qui guide l’action, les résultats de l’action ne laissent aucune tendance.

 

Verset 18 : « La connaissance, le connu et celui qui connaît, forment la triple impulsion à l’action. Les organes, l’action, l’auteur, forment la triple base de l’action. »

  • Dans un acte il y a ce qui est révélé de l’acte, l’expérience de l’acte et celui qui expérimente.
  • Avant l’action, il y a ce que je nommerai une insufflation, une force qui donne l’impulsion. Puis cette énergie subtile se matérialise en acte, après avoir été un désir, une sensation, une pensée. L’’agissant est traversé par ces processus et agit, l’action se matérialise.
  • Soit l’action provient d’un processus divin, pur acte divin, soit il est empreint de l’ego et est chargé de désirs égotiques, l’auteur se fond à l’action et au résultat de celle-ci.

 

Verset 19 : « La science des tempéraments (Guṇa) déclare que la connaissance, l’action et l’agent sont de trois sortes, selon les distinctions des tempéraments. Ecoute bien ce qu’ils sont. »

  • L’individu a une nature prédominante : selon son tempérament, le mental et l’intellect humain fonctionnent sous l’influence des guṇas. Suivant le moment, ce qui se produit, l’impact, la personnalité va varier en fonction de cela.

 

Verset 20 : « Sache que cette connaissance, par laquelle on perçoit la Réalité Indestructible dans tous les êtres, l’Indivisible dans ce qui est divisé, est sattvique (pure). » 

  • L’être cherchant à évoluer spirituellement cherche à évoluer dans un climat sattvique.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 21 à 28 – Gaëtan

Dans ce dernier chapitre aux allures de synthèse Kṛṣṇa a commencé à évoquer la distinction entre abandon et renoncement. Les deux étant à poursuivre et le premier étant un moyen pour réaliser le deuxième. Il déroule son exposé en s’attachant à l’action qu’il décrit comme déterminée par la connaissance et l’agent (ou auteur). Ces trois dimensions étant elles-mêmes teintées par les Guṇas.

Au verset précédent, il a décrit ce que serait une connaissance sattvique, à savoir, la capacité à percevoir l’unité du Soi en toutes choses (êtres compris).

Verset 21 : « Mais sache que la connaissance qui voit en tous les êtres des entités variées, de types différents, distinctes les unes des autres, est rajasique (passionnée). »

  • Rajas est en opposition directe avec sattva ici. Voir dans le monde la diversité offerte par Prakṛti c’est s’attacher aux phénomènes plutôt qu’à l’Essence, rester en surface. Cette attitude favorise la propension à l’action attachée aux fruits, une vie où ce sont les désirs qui tiennent les rênes du char.

 

Verset 22 : « Mais la connaissance qui s’attache à un seul effet comme si c’était le tout, sans raison, comme si c’était la vérité, et avec étroitesse d’esprit, est déclarée comme étant tamasique »

  • Nous avons été habitués à considérer que Sattva et Tamas sont les deux faces d’une même pièce. Pile, la lumière, face l’obscurité. Mais ici, c’est sattva et rajas qui sont opposés et cela amplifie l’impact de ce qui est dit sur une connaissance qui serait tamasique qui intervient comme une conclusion provisoire introduite par « Mais ». Cette connaissance est ainsi présentée comme hors catégorie, une connaissance qui n’en est pas une, l’ignorance absolue.

 

Verset 23 : « Une action prescrite, accomplie sans attachement, sans amour ni haine, par un homme qui n’en désire pas anxieusement les fruits, est dite sattvique. »

  • Après avoir décrit les trois formes de connaissance Kṛṣṇa poursuit avec les trois formes d’actions.
  • L’action à poursuivre, « l’action prescrite » c’est l’action sattvique qui est réalisée sans attachement. Réalisée avec équanimité, elle ne crée pas de vāsanā ; réalisée parce qu’elle doit être faite et non dans l’attente anxieuse de son résultat, elle s’inscrit dans le svadharma.

 

Verset 24 : « Mais l’action qui est accomplie par celui qui aspire aux désirs, ou qui est accomplie avec égoïsme, ou avec beaucoup d’efforts, est dite rajasique. »

  • A nouveau rajas s’oppose à sattva dans la dyade attachement/renoncement. Le fait d’opposer ce qui serait juste, à poursuivre avec le fait de faire « beaucoup d’efforts » peut être contre-intuitif. Mais ce qui me semble être dit ici, c’est que les efforts en question sont mal dirigés puisque dictés par un ego central et tyrannique qui trouve sa motivation en dehors de l’esprit de yajña.

 

Verset 25 : « L’action entreprise sous l’effet d’une compréhension erronée, au mépris des conséquences, des pertes, des torts causés et des capacités requises, est dite tamasique.»

  • Pire que l’action attachée, l’action menée sans conscience. Celui qui agit sans conscience peut causer du tort sans même s’en rendre compte et n’a aucune prise sur sa vie puisqu’il ne peut changer et avoir l’espoir de s’améliorer. Telle une bille dans un flipper il rebondit dans sa vie d’une action à l’autre sans but précis.

 

Verset 26 : « Un « agent » libre de tout attachement, sans égoïsme, doté de fermeté et d’enthousiasme, inaffecté par le succès ou l’échec, est appelé sattvique. »

  • Kṛṣṇa s’attache maintenant à l’agent plutôt qu’à l’auteur. Il n’est pas mené par son égo, équanime et détaché mais ferme lorsqu’il agit, s’il est imprégné par sattva. Cette attitude lui confère « l’enthousiasme » à faire ce qui doit l’être, libre de faire ce qui est juste plutôt qu’esclave de ses désirs.

 

Verset 27 : « L’agent passionné, qui désire les fruits de ses actions, avide, violent, impur, affecté par la joie ou la douleur, est dit être rajasique (passionné). »

  • A l’inverse, celui qui est en prise avec le manifesté, victime de l’illusion de la pluralité, menés par des désirs sans cesse renouvelés du fait de cette pluralité apparente, est « avide » et peut devenir «violent » et « impur ». Il ne peut espérer qu’une alternance de « joie » et de « douleur » et mener, au final, une vie triste. Il s’agit du rajasique.

 

Verset 28 : « L’agent instable, vulgaire, obstiné, malhonnête, malveillant, paresseux, aisément déprimé et qui remet tout au lendemain, est de type tamasique. »

  • Le tableau s’obscurcit encore avec cette description de l’agent de type tamasique. Si l’agent rajasique se cause du tort et peut en causer aux autres, l’agent tamasique en cause forcément tant à lui, qu’aux autres et au monde. Il n’a aucune fermeté sur laquelle s’appuyer, sa volonté est en berne, les buts qu’il poursuit dans la facilité causent du tort à ceux qui l’entourent.
  • Les trois Guṇas sont présentes en tout être manifesté. Ici Kṛṣṇa s’attarde sur leur modalité psychologique plutôt qu’essentielle. Il est probable qu’il n’existe ni connaissance, ni action, ni agent qui soit purement d’un type ou de l’autre et à mon sens il faut prendre ces descriptions comme des archétypes à visée pédagogique. Nous pouvons tour à tour être affectés par l’une ou par l’autre mais somme invités à poursuivre sattva en la gardant comme point de mire dans nos actions quotidiennes.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 29 à 36 – Nadège

Verset 29 : « Entends maintenant la triple division de la « compréhension » et de la « fermeté » selon les guṇa. Je vais te l’exposer en détail et logiquement, ô Dhanañjaya (celui qui acquiert une grande richesse spirituelle par la conquête). » 

buddherbhedaṃ dhṛteścaiva gunatastrividhaṃ śṛṇu / procyamānamaśeṣeṇa pṛthaktvena dhanañjaya 

  • Ici est abordé le sujet de « buddhi », l’intellect discriminant : lorsque le chercheur (spirituel) est guidé par cette faculté, le « travail » sera fructueux.
  • Pour cela, il faut aussi de la constance, « la fermeté », car sinon, il ne eput y avoir d’avancement. C’est comme un musicien qui veut jouer du violon par exemple, s’il veut vraiment trouver du plaisir et de la liberté dans son jeu, il doit apprendre à jouer et cela demande de l’assiduité et même ensuite, il faut toujours s’entraîner. C’est la même chose dans le chemin du yoga.

 

Verset 30 : « Cette « compréhension » qui distingue les voies de l’action et du renoncement, ce qui doit être fait et ce qui doit être évité, la peur et le courage, la servitude et la libération, est sattvique (pure), ô Pārtha (Fils de Pṛthā, Manu, l’être humain). »

pravṛttiṃ ca nivṛttiṃ ca kāryākārye bhayābhaye / bandhaṃ mokṣaṃ ca yā vetti buddhiḥ sā pārtha sāttvikī

  • La fonction de « buddhi », est d’analyser, classifier, mémoriser, mais surtout de discriminer et ceci avec une autre qualité qui est celle de l’intuition.
  • Un intellect capable d’évaluer ce qui est juste ou pas, va permettre une action sattvique, en accord avec les circonstances, avec le dharma.
  • Les actions guidées par certaines émotions (colère, ressentiment, etc.) ne seront pas adéquates et on va les regretter.
  • Avec « buddhi », il est possible de savoir ce qui est approprié à un certain moment et ce qui ne le sera pas une autre fois dans des conditions différentes. C’est pourquoi il est indispensable de faire preuve d’une grande intelligence dans le choix de toute ligne de conduite. 

 

Verset 31 : « Ce par quoi on appréhende de façon erronée le dharma et l’adharma, ce qui doit être fait et ce qui doit être évité, ô Pārtha, cette « compréhension » est rajasique (passionnée). »

yayā dharmamadharmaṃ ca kāryaṃ cākāryameva ca / ayathāvatprajānāti buddhiḥ sā pārtha rājasī 

  • La notion de dharma et d’adharma : La notion du dharma doit être claire lorsque nous décidons de cheminer avec le yoga ou en tout cas, il est important de l’éclaircir au fur et mesure de notre « avancement » intérieur. Le dharma, c’est se conformer aux lois cosmiques et aux lois éthiques, mais par de n’importe quelle façon, pas par la coercition par exemple. Se conformer au Dharma, c’est comprendre ce qui est bon et juste, non seulement pour nous-mêmes, mais pour les autres êtres vivants et l’univers. Pour cela et comme il est dit au chapitre 2 par exemple, il faut plonger dans notre propre obscurité pour dévoiler les fléaux intérieurs qui empêchent d’agir au mieux. Rappelons-nous que la fleur de lotus pousse dans la boue. Donc, dans une démarche de vérité, il est de notre devoir de rechercher au plus profond de nous-même, dans cette boue, ce qui résonne encore de façon inadéquate et nous enferme dans des schémas délétères.
  • L’adharma est ce qui s’oppose au dharma, à la notion de justice, de vérité, de cœur et de devoir.
  • Une action rajasique est une action qui n’est pas conscientisée, mais menée par une passion, des émotions chaudes, par une idéologie ou des croyances et peut avoir des conséquences destructrices.
  • Il est important de clarifier pour soi-même ce qui est bon et ce qui est mauvais en dehors de nos conditionnements idéologiques.
  • Avoir une conception erronée (rajasique) des choses mène à considérer par exemple qu’une chose nuisible est bonne ou ce qui nuit à autrui est bon pour soi ou à d’autres. Le dharma demande à la fois une vue juste (je dirai du cœur) et d’ensemble, de sortir de l’ego et de mon petit « moi ».

 

Verset 32 : « La « compréhension » qui, enveloppée de ténèbres, prend l’adharma pour le dharma et voit les choses à l’envers, ô Pārtha, est tamasique (bornée).

adharmaṃ dharmamiti yā manyate tamasāvṛtā / sarvārthānviparītāṃśca buddhiḥ sā pārtha tāmasī

  • La pire forme de « compréhension » est tamasique, c’est celle qui appréhende le monde de manière totalement erronée, par les prismes de l’ego, des conditionnements, de l’idéologie, des schémas traumatiques.
  • L’intellect est tellement obscurci qu’il est incapable de se rendre compte des aberrations de sa compréhension.
  • Cette compréhension provoque de la souffrance pour soi et pour autrui. Mais rappelons-nous que cela concerne aussi chacun d’entre-nous. Nous n’avons pas toujours une « compréhension » sattvique ; elle peut quelquefois être aussi rajasique ou même tamasique.

 

Verset 33 : « La « Fermeté » inébranlable par laquelle, grâce au yoga, les fonctions du mental, du Prāṇā et des sens sont maîtrisées, ô Pārtha, est sattvique (pure). »

dhṛtyā yayā dhārayate manaḥprāṇendriyakriyāḥ / yogenāvyabhicāriṇyā dhṛtiḥ sā pārtha sāttvikī

  • « La Fermeté » : on peut nommer « fermeté », constance. C’est-à-dire ne jamais perdre de vue ce que nous voulons atteindre. Dans la voie du Yoga, comme dans la musique, l’assiduité, la fidélité sont des conditions sine qua none pour que les choses « s’arrangent » !
  • C’est la force inébranlable qui nous fait poursuivre le chemin, car nous savons qu’il est juste et qu’il nous ouvre les yeux.
  • La pratique régulière favoriser la maîtrise du mental et permet d’éviter les débordements, tout comme avec le prāṇā. Si l’énergie est bien régulée, va s’ensuivre un alignement, un équilibre qui permet de percevoir au-delà des apparences, qui affûte l’intuition.
  • Cette détermination (dhṛtiḥ) est importante, car nous n’irons nulle part si nous laissons les sens débridés nous guider.
  • La mot « dhṛtiḥ » comprend la constance, mais aussi le self-contrôle et la stabilité émotionnelle, mais aussi le courage et la volonté. La pratique des asanas, du prāṇāyama, de la méditation et des mantras permet de renforcer ces qualités. La pratique, la pratique, la pratique …
  • La persévérance dans notre voie est sattvique.

 

Verset 34 : « Mais la fermeté, ô Arjuna, avec laquelle, on s’attache au devoir, au plaisir et à la richesse, en désirant leurs fruits, est rahjasique (passionnée), ô Pārtha. »

yayā tu dharmakāmārthāndhṛtyā dhārayate’rjuna / prasaṅgena phalākāṅkṣī dhṛtiḥ sā pārtha rājasī 

  • La détermination rajasique est celle qui est attachée au résultat et qui ne prend en compte que « l’artha » (les biens matériels, l’utile) et le « kāma » (le désir, la passion, la jouissance des sens) et qui oublie l’objectif qui est « mokṣa » (le renoncement, la libération).
  • Si « mokṣa » n’est pas pris en compte, l’individu va se retrouver aux prises de l’attachement aux sens, aux émotions, aux biens matériels et une certaine avidité peut en découler. Quand on est accroché à ces « valeurs », on considère comme « juste » de les satisfaire, même s’ils mènent à notre perte (souffrance). Par exemple, aujourd’hui, il est bon de considérer que l’ascenseur émotionnel provoqué par notre mental non maîtrisé, par les nouvelles de la télévision, etc. est normal et bon, alors que cela provoque énormément de dégâts, puisque l’agitation se verra propulsée à son paroxysme et engendrera énormément de déséquilibres. Maîtriser ses sens est un facteur essentiel pour établir dans la paix.

 

Verset 35 : « La constance avec laquelle un homme stupide n’abandonne ni le sommeil, ni la peur, ni le chagrin, ni le désespoir, ni l’arrogance, est tamasique, ô Pārtha. » 

yayā svapnaṃ bhayaṃ śokaṃ viṣādaṃ madameva ca / na vimuñcati durmedhā dhṛtiḥ sā pārtha tāmasī

  • Ce verset peut nous parler, car il concerne la plupart d’entre-nous. Qui ne connaît pas la peur, l’arrogance, le désespoir quelquefois et s’y laisse aller. Ou alors qui ne se berce pas d’illusion sur certaines choses ?
  • Cependant, dans cet état qui est considéré comme tamasique, on peut s’y complaire (et aussi avoir peu d’outils pour en sortir) ou on peut le « combattre ».
  • Il est de notre devoir et c’est là que la pratique intervient, de retrouver le chemin de la vie. La vie est impermanence et même s’il est vrai qu’il est très difficile de « vivre en détente », dans le « lâcher-prise », replacer la conscience dans l’ici et maintenant permet de dépasser ces obstacles, d’abord de manière éphémère et puis de manière de plus en plus constante (c’est un vrai « travail » à part entière !).

 

Verset 36 : « Et maintenant, écoute, ô Meilleur d’entre les Bharata, le triple « plaisir » (bonheur), par lequel un homme se réjouit grâce à une longue pratique, et qui met fin à la souffrance. »

sukhaṃ tvidānīṃ trividhaṃ śṛṇu me bharatarṣabha / abhyāsādramate yatra duḥkhāntaṃ ca nigacchati 

  • Il a été évoqué précédemment les trois formes de compréhension et trois formes de détermination à travers donc les guṇa-s qui sont ces forces qui déterminent le monde phénoménal (de la création – Prakṛti). De même les formes de bonheur sont également triples.
  • Le but de chaque être humain est d’atteindre le bonheur, de s’éloigner de la souffrance. Cependant selon les moments où nous serons guidés par l’une ou l’autre des guṇa-s, la forme du bonheur ne sera pas la même. Il y aura le bonheur durable, apaisé, le bonheur passionné et sujet à tourments et le bonheur attaché, par exemple par les addictions.
  • Le chercheur spirituel entreprend une quête certes longue, mais fructueuse, car la paix est dans le chemin et au bout du chemin.
  • Le vrai bonheur demande un engagement de chaque instant : parce que l’étude, le yoga, le japa, la méditation exigent un effort et c’est quelquefois difficile et ennuyeux, surtout au début et finalement peu de gens gardent la constance dans tous ces domaines pour avancer. Par exemple dans cette étude de la Bhagavad-Gītā, il y a eu des moments fastidieux, des moments où il a fallu laisser reposer et méditer sur le sens de ce qui est proposé par Kṛṣṇa et que peut-être, on aurait bien voulu abandonner en cours de route. Cependant, le fait de poursuivre dans la constance apporte tellement de satisfaction, le fait de réfléchir à ce qui est bon dans notre vie, à notre place, à la responsabilité qui est la nôtre de vivre, n’a pas de prix. Evidemment la pratique en parallèle permet de cultiver cette volonté (détermination) et cette compréhension. Au final, une forme de stabilité s’installe qui permet au bonheur de s’établir en soi. J’ajouterai ici, que le fait de s’atteler à cette tâche en groupe permet de nous soutenir les uns les autres dans la poursuite de notre quête. Tout comme la sadhana en groupe nous motive et nous réconforte dans le partage d’une même aspiration de paix et de d’amour universel, parce que nous savons que nous venons de loin et que chemin est difficile, que nos démons ne se laissent pas terrasser si aisément, on les chasse par la porte et ils reviennent par la fenêtre!

 

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 37 à 44 – Chérifa

Verset 37 :  « Ce bonheur, qui apparaît comme un poison au début, mais qui se révèle être du nectar à la fin, est sattvique (pure). Il naît de la pureté du mental résultant de la réalisation du Soi ».

  • Ce verset est très subtil car, il nous parle de la vraie nature du bonheur et de la manière dont la conscience le perçoit selon son degré de clarté. Ce verset décrit une vérité essentielle de la transformation intérieure : le bonheur véritable ne naît pas du plaisir immédiat, mais d’un éveil progressif de la conscience.
  • Au départ, la recherche de lucidité et de maîtrise de soi peut sembler difficile. Faire face à ses illusions, renoncer à certaines dépendances, ou affronter les zones d’ombre de l’esprit, tout cela demande effort, courage et discipline.
  • Cela « apparait » comme un poison, car cela va à l’encontre des réflexes habituels du désir et du confort.
  • L’ego résiste toujours à ce qui menace son emprise. Ce poison initial, c’est la résistance de nos attachements à la clarté. Mais peu à peu, cette lucidité apporte un goût nouveau : celui de la liberté.
  • Quand l’esprit cesse de courir après l’extérieur pour combler son vide, il découvre une joie tranquille, sans cause. C’est le nectar intérieur, la saveur de la conscience claire, qui n’a besoin d’aucun objet pour être en paix.
  • Ce nectar n’est pas un plaisir, mais une lumière : le bonheur d’être sans dépendance.
  • Ce type de bonheur sàttvique, c’est-à-dire clair, équilibré, stable, naît de la connaissance de soi. Il ne vient pas de l’extérieur, mais d’un ajustement intérieur : l’esprit cesse de fuir ou de chercher, et s’accorde à la réalité telle qu’elle est. C’est une joie qui s’approfondit dans le silence, comme une lumière qui éclaire sans brûler.

Ce verset nous invite à reconnaître le paradoxe du vrai bonheur : il demande d’abord une forme de perte, de dépouillement, de renoncement aux illusions du plaisir, mais il révèle ensuite une joie plus profonde, durable, stable. Ce qui semble difficile au commencement devient source de paix à la fin.

 

Verset 38 : « Le plaisir produit par le contact des organes des sens avec leurs objets respectifs, qui au début ressemble à du nectar, mais qui à la fin comme du poison, est le bonheur rajastique (passionnel) ».

  • Ce verset explore le bonheur instable, celui qui dépend du plaisir sensoriel, de l’excitation, de la réussite ou du mouvement extérieur. Il est appelé rajastique c’est-à-dire, animé par l’énergie du désir, de la passion et de la recherche de satisfaction personnelle.
  • Au départ, le plaisir issu des sens ou des succès paraît doux, comme un nectar, il stimule, séduit, donne l’impression de vivre pleinement. Le corps et le mental y trouvent un instant d’intensité, une impression de comblement. Mais ce nectar ne dure pas. Il dépend d’un objet extérieur, d’une condition fragile. Dès qu’il s’éteint, l’esprit retombe dans le vide et cherche aussitôt à le recréer.
  • Ce bonheur a besoin d’être entretenu, nourri, répété, il se transforme vite en besoin. Parce qu’il repose sur l’attachement et l’attente, ce bonheur devient inévitablement du poison parce qu’il crée dépendance, insatisfaction et l’usure.
  • La mémoire du plaisir passé engendre le désir de le retrouver, et le désir engendre la peur de le perdre.
  • C’est ainsi que la joie se change en tension, puis en frustration.
  • Ce qui semblait nous élever finit par nous attacher.
  • Le rajas (principe passionné, mobile) pousse l’esprit à rechercher le mouvement, à se projeter toujours vers un « plus tard » ou un « ailleurs ». Il alimente la poursuite incessante du plaisir, du pouvoir, du résultat. Ce n’est pas un mal en soi, c’est une étape naturelle du développement humain, l’expérience du désir est ce qui permet, un jour, de reconnaître par soi-même sa limite.
  • Mais tant qu’on s’y identifie, le bonheur reste épuisant, provisoire, dépendant.

Le verset n’invite pas à condamner le plaisir, mais à voir lucidement sa nature passagère. Quand cette clarté s’installe, le plaisir perd son pouvoir d’illusion. On peut alors en goûter la beauté sans s’y attacher. Le vrai détachement ne consiste pas à refuser le plaisir, mais à ne plus en être captif.

 

Verset 39 : « Le bonheur qui, au début comme à la fin, trompe le Soi, naissant du sommeil, de la paresse et de la négligence, est tamasique (borné, inerte). »

  • Le verset 39 conclut la trilogie sur les trois formes de bonheur en parlant cette fois du bonheur tamasique celui qui naît de l’ignorance, de la fuite et de l’inertie intérieure.
  • Ce troisième type de bonheur est le plus trompeur, car il ne contient ni la lumière de la lucidité (comme le sattvique), ni même la vitalité du désir (comme le rajastique).
  • Il s’agit d’un plaisir d’engourdissement, une forme d’oubli de soi. Ce bonheur ne cherche pas à élever ni à posséder, mais à éteindre la conscience : il veut ne plus sentir, ne plus penser, ne plus être dérangé.
  • C’est le réconfort de la fuite : le sommeil prolongé, l’indifférence, la distraction sans fin, l’abrutissement par les habitudes, les écrans, les sensations ternes.
  • Ce bonheur ne libère pas de la souffrance, il l’endort. L’esprit croit trouver la paix parce qu’il ne ressent plus rien, mais cette paix est négative car c’est le calme du refus.
  • Sous la surface, la peur et la confusion demeurent intactes. C’est une forme d’oubli intérieur, un refus de voir. L’être se rétrécit, se referme, se protège de la vie elle-même.
  • Ce n’est pas la tranquillité de la clarté, c’est l’immobilité du déni.
  • Dans la perspective de la Gītā, ce bonheur est le plus bas degré de la conscience. Il n’est ni dynamique comme le désir, ni lumineux comme la connaissance. Il est inconscient : un état où l’esprit se perd dans son propre brouillard. Pourtant, il fait partie du chemin. Car tant que l’on croit trouver le bonheur dans l’oubli, on expérimente la limite même de cette illusion.

Ce verset n’invite pas à condamner la paresse ou le sommeil, mais à voir comment l’évitement du réel crée une souffrance plus subtile : celle de la stagnation. La vraie paix, elle, naît d’une lucidité détendue, non d’une absence de conscience et d’une présence sans tension. Ce n’est pas l’absence de mouvement qui libère, c’est la clarté au cœur du mouvement.

 

Verset 40 : « Nul être, sur terre ou au ciel parmi les Deva (êtres célestes), n’est libéré de ces modalités nées de Prakṛti (matière). »

  • Ce verset, vient comme une conclusion naturelle à cette série : après avoir distingué les trois formes de bonheur, Kṛṣṇa montre que nul être incarné n’échappe à ces trois forces fondamentales.
  • Ce verset nous ramène à une vision profondément intégrative et lucide : la vie dans le monde est toujours traversée par les trois guṇa -s, les trois principes constitutifs de la nature (Prakṛti) :
  • Sattva : la clarté, la lumière, l’équilibre.
  • Rajas : le mouvement, le désir, l’énergie.
  • Tamas : l’inertie, l’obscurité, la pesanteur.
  • Tout ce qui vit, agit, ressent ou pense, le fait à travers la combinaison mouvante de ces trois forces. Aucune existence n’est en dehors de la nature Même les êtres les plus subtils, les plus éveillés, sont, tant qu’ils agissent dans le monde manifestés, influencés par ces qualités (guṇa-s).
  • Le corps, l’esprit, les émotions, les instincts, tout cela appartient à la trame de la nature. La liberté ne consiste donc pas à sortir du monde, mais à ne plus s’y identifier. L’éveil n’abolit pas la nature, il la traverse avec conscience.
  • Ce verset invite à la lucidité, non à la fuite mystique. On ne devient pas libre en se déclarant « au-delà » des guṇas, mais en observant leurs jeux avec attention, jusqu’à ce que l’identification cesse d’elle-même.
  • Sattva, rajas et tamas ne sont pas des ennemis. Ils sont les forces de la vie : le repos et l’élan, la lumière et l’ombre, la clarté et la confusion. Ils sont tous nécessaires au déploiement du vivant. Ce que la sagesse cherche, ce n’est pas à les détruire, mais à les harmoniser, pour que la conscience reste stable au cœur de leur alternance. Tant que l’on vit, on est traversé par les trois qualités de la nature.

 

Verset 41 : « Les devoirs des penseurs et des lettrés (brāhmaṇa), des dirigeants (Kṣatriya). Des commerçants et des négociants (Vaiśya) et ainsi des exécutants (śūdra), ô Paraṃtapa, sont répartis selon les qualités nées de leur propre nature. »

  • Ce verset marque un tournant important dans la Bhagavad Gītā. Après avoir montré que nul être n’échappe à l’influence des trois guṇa-s (les qualités de la nature), Kṛṣṇa expose comment ces forces se manifestent dans les différentes dispositions et fonctions humaines.
  • Ce verset ne parle pas d’un système social figé ou hiérarchique, mais d’une typologie intérieure des tendances de la conscience humaine.
  • Il décrit comment les trois guṇa-s (Sattva, Rajas, Tamas) composent en chacun une nature particulière, qui se traduit par une manière d’agir, de comprendre et de servir. 

Les quatre dispositions comme symboles intérieurs : les catégories évoquées ici : Brāhmaṇa, Kṣatriya, Vaiśya, et śūdra , ne sont pas d’abord des castes sociales, mais des archétypes de la conscience présents en chacun de nous :

  • Brāhmaṇa est la dimension contemplative, tournée vers la connaissance, la sagesse, la recherche du vrai. Donc dominée par sattva (clarté).
  • Kṣatriya est la dimension courageuse, protectrice, orientée vers l’action juste et la responsabilité. C’est-à-dire, Sattva mêlé à Rajas (énergie équilibrée par la droiture).
  • Vaiśya est la dimension créatrice, commerçante, productive, qui organise la matière et l’échange. Dominance de Rajas (activité, désir d’ordre et de prospérité).
  • Śūdra est la dimension pratique, au service, qui soutient, exécute, participe à la continuité du monde concret. C’est-à-dire dominé par Tamas mêlé à Rajas (stabilité, persévérance, mais parfois inertie). 

Ces quatre tendances coexistent en chacun de nous, mais l’une d’elles domine selon la maturité de notre conscience.

  • Le message essentiel du verset est que l’harmonie naît de la fidélité à sa propre nature. Chacun a une manière unique de servir la totalité de la vie. Vouloir imiter une autre nature conduit à la confusion, mais reconnaître la sienne permet l’alignement intérieur. Le désordre du monde commence lorsque l’on agit contre sa nature.
  • Ainsi, le texte invite à la lucidité : observer ce qui en soi est sagesse, courage, créativité ou service, et l’exprimer avec justesse, sans vanité ni comparaison.
  • Ce verset ouvre la voie d’une éthique du réel : la voie de la connaissance ne s’oppose pas à celle de l’action ou du travail, mais les relie toutes par la conscience du dharma. Le mouvement juste selon sa propre nature.
  • Le chemin de chacun est différent, mais la vérité qu’il révèle est une. Les différences entre les êtres ne sont pas des divisions, mais des expressions variées de la même conscience.
  • Quand chacun agit selon sa nature claire et sincère, l’ordre du monde devient harmonie et l’action devient offrande.

 

Verset 42 : « La sérénité la maîtrise des sens, l’austérité, la pureté le pardon, et aussi la droiture, la connaissance, la réalisation (de cette connaissance), la foi dans le divin, sont les devoirs des Brāhmaṇa, nés de leur propre nature. »

  • Ici, nous approfondissons cette vision intérieure. Ce verset décrit les qualités naturelles de l’être orienté vers la connaissance, la lucidité et la paix le « Brāhmaṇa », symbole du principe contemplatif en chacun de nous.
  • Ce verset ne parle pas d’un statut social, mais d’un état intérieur de conscience. Le Brāhmaṇa ici représente la dimension de clarté en l’homme, celle qui cherche à comprendre, à unir, à voir au-delà de l’apparence.
  • C’est le principe du sattva, la lumière stable de la lucidité.
  • Chaque mot du verset décrit une attitude vivante, non pas imposée, mais naturellement émanée d’un esprit en paix :
  • Sérénité (sama) : calme intérieur, absence d’agitation. L’esprit ne réagit plus mécaniquement, il observe avant d’agir. Maîtrise des sens (dama) : capacité à gouverner ses impulsions. Non par répression, mais par conscience.
  • Austérités (tapas) : effort intérieur qui purifie. Mesurée, jamais violente, orientée vers la clarté, jamais vers la douleur et au service de la conscience, pas de l’ego.
  • Pureté (śaucam) : transparence de l’intention. Les actes, les paroles et les pensées s’accordent dans la cohérence.
  • La patience, pratiquer le Pardon (kṣānti) : vivre avec équanimité au milieu de la dualité.
  • Droiture (ārjavam) : honnêteté intérieure, simplicité du cœur.
  • Connaissance (jñāna m) : discernement de ce qui est réel, de ce qui libère.
  • Sagesse (vijñānā) : connaissance vécue, intégrée, incarnée.
  • Foi dans le divin (āstikya) : confiance profonde dans l’ordre vivant de la réalité pas une croyance aveugle, mais une ouverture à ce qui est plus vaste que le moi.
  • Ces qualités ne sont pas acquises par effort moral, elles se déploient quand le mental cesse de se défendre.
  • Le brāhmaṇa symbolise la part de nous qui cherche la compréhension avant l’action. C’est la clarté qui précède le geste, la lumière intérieure qui éclaire la voie. Dans la vie quotidienne, cette qualité se manifeste chaque fois que nous choisissons : la vérité plutôt que la commodité ; l’écoute plutôt que la réaction ; la lucidité plutôt que l’habitude.

La Gītā, ne demande pas de devenir « quelqu’un de spirituel », mais de laisser se manifester ce qui, en soi, est déjà paix et intelligence. Quand l’esprit se libère de la confusion et du désir d’emprise, ces vertus apparaissent d’elles-mêmes comme la lumière surgit quand les nuages se dissipent.

 

Verset 43 : « L’héroïsme, la vigueur, la fermeté, l’habileté et aussi le courage ( le refus de fuir) au combat, la générosité, l’autorité, sont les devoirs de Kṣatriya, nés de leur propre nature. »

  • Ici encore, la Gītā ne décrit pas une classe sociale, mais une énergie intérieure.
  • Après le Brāhmaṇa, principe de clarté, vient le « Kṣatriya », principe de force lucide : C’est-à-dire la capacité de protéger, d’agir, de tenir debout lorsque la vie demande du courage. C’est la dimension en nous qui : ne se laisse pas écraser par la peur, s’engage là où il faut agir, soutient les autres lorsque tout vacille, transforme la compréhension en mouvement juste :
  • Valeur (sauryām) : la capacité à s’avancer dans l’inconnu. Ce n’est pas une bravoure agressive, mais la force tranquille de celui qui dit : « je peux faire face ».
  • Puissance (tejas) : l’intensité intérieure. C’est l’énergie claire, non destructrice, qui soutient l’action juste.
  • Fermeté (dhṛti) : tenir jusqu’au bout, ce qui doit être accompli. C’est une volonté puissante de l’être qui se fixe un but à atteindre, la persévérance nécessaire en soi pour atteindre le succès dans l’action menée.
  • Habilité (dāsyam) : l’intelligence pratique : savoir comment agir dans le réel, avec précision, discernement et efficacité.
  • Le courage (Refus de fuir au combat) (apalāyanam) : symboliquement : ne pas se dérober devant ce qui doit être affronté
  • Les « combats » dont il est question sont intérieurs : les peurs, les conditionnements, les attachements, les illusions. Fuir ces défis ne libère pas mais les traverser avec lucidité, oui.
  • Générosité (dānam) : don de soi sans calcul. Le kṣatriya véritable agit pour protéger, non pour dominer
  • Autorité (Īśvarabhāva) : la capacité d’assumer la responsabilité.
  • Gouverner ici signifie : savoir diriger son énergie, ses pensées, ses choix, et éventuellement guider les autres avec équité.
  • Le Kṣatriya représente l’aspect actif et courageux de la nature humaine, la force qui protège la vérité révélée par le principe contemplatif. Quand la clarté (Brāhmaṇa) voit ce qu’il faut faire, le courage (Kṣatriya) accomplit ce qu’il a vu.
  • Ces deux dimensions se complètent : la sagesse sans force reste impuissante, et la force sans sagesse devient violence. 

En chacun vit une énergie de courage, de protection et de droiture. Lorsque l’action naît de la lucidité, elle devient service, force tranquille, et responsabilité juste.

 

Verset 44 : « L’agriculture l’élevages et le commerce, sont les devoirs des Vaiśya, les activités de service sont ceux des Śūdra, né de leur propre nature respective. »

  • Après, le Brāhmaṇa (clarté, connaissance), et le Kṣatriya (courage, action juste), vient maintenant, le « Vaiśya » ; l’énergie de soutien et de création du monde concret. Cette dimension en nous se manifeste par la capacité à : nourrir, soutenir, maintenir la vie ; produire, organiser, gérer le concret ; échanger, créer des relations équilibrées ; transformer la matière, donner forme à ce qui était seulement potentiel.
  • C’est la force de stabilité matérielle, sans laquelle la connaissance et l’action courageuse resteraient abstraites.
  • Puis Le Śūdra ; l’énergie de service, il représente la dimension en nous qui soutient, qui aide, qui met en œuvre, qui      exécute dans la simplicité ce qui doit être fait. C’est la part humble, efficace, indispensable. Celle qui rend réel ce que les autres niveaux ont imaginé.

 Ce verset décrit deux pôles complémentaires :

  • Vaiśya c’est-à-dire la capacité de créer, produire, nourrir, maintenir.
  • Śūdra c’est-à-dire la capacité de servir, de soutenir, d’ancrer les choses dans le concret.

La Gītā montre ainsi une vision non hiérarchique, où chacun porte en lui ces quatre forces fondamentales :

  1. Clarifier (Brāhmaṇa)
  2. Oser agir (Kṣatriya)
  3. Soutenir et nourrir (Vaiśya)
  4. Servir, exécuter, ancrer (śūdra) 

En chacun, existe une énergie qui nourrit, stabilise et soutient la vie (Vaiśya) et une énergie qui sert, concrétise et met en œuvre (śūdra). Ces forces complètent la connaissance et le courage, permettant à l’être humain de vivre pleinement dans le monde.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 45 à 52 – Catherine

Verset 45 : « L’homme consacré à son devoir atteint la Perfection. Ecoute maintenant comment, engagé dans son devoir, il atteint la Perfection. »

  • L’être humain qui consacre sa vie à son devoir nous dit Kṛṣṇa, atteint la Perfection. Si nous nous engageons au développement de notre conscience, nous pouvons atteindre la perfection. Par l’abandon au résultat de nos actions, par la maîtrise de notre ego.
  • Chaque jour revenir à nos vāsanā-s (empreintes mentales), les regarder, les déposer un à un, en nous consacrant et nous abandonnant à plus grand. Nous pouvons progressivement être dans l’équanimité, accueillant les choses comme elles sont !

 

Verset 46 : « L’homme atteint la Perfection en adorant, par l’accomplissement de son devoir, Celui dont émanent tous les êtres et par qui tout est imprégné. »

  • Nous sommes tous issus de Brahman, il est partout autour de nous et en nous. Nous devons le voir en tout être, animaux, humains. Nous devons l’adorer en tout, pour cela nous devons être conscient qu’il en est ainsi. Ainsi toutes nos pensées, nos actions seront empreintes de paix et d’amour. Nous accomplissons pleinement notre devoir dans l’action juste.

 

Verset 47 : « Il est préférable de s’acquitter de son propre devoir, même s’il est sans mérite, que d’accomplir parfaitement celui d’un autre. Celui qui accomplit le devoir prescrit par sa propre nature n’encourt aucun mal. »

  • Chaque être à sa propre nature, comme Arjuna a des qualités exceptionnelles d’archer. Il est donc important de suivre ses qualités propres, car elles nous mènent à la libération.
  • C’est en expérimentant, que nous apprenons et pouvons corriger nos travers. Nous avons tous des choses à travailler et à la fois ces choses ne sont pas négatives ou positives, elles sont là pour nous faire évoluer.

 

Verset 48 : « Personne ne doit abandonner le devoir pour lequel il est né (inhérent à sa nature), Ô Kaunteya, même s’il est imparfait. Car toutes les entreprises ne sont-elles pas enveloppées d’imperfection, comme le feu l’est par la fumée ? »

  • Nous avons des qualités innées, de par notre nature et même si notre devoir est embrumé par nos vāsanā-s, mais qu’il est fait dans l’abandon à plus grand, alors l’imperfection qui pourra être perçue n’en n’aura que l’apparence. Dans tout ce que nous entreprenons, si nous sommes dans le service à plus grand, alors quel que soit la tâche, elle sera valorisée.

 

Verset 49 : « Celui dont l’intellect est complètement détaché, qui a acquis la maîtrise de soi et qui est affranchi des désirs, atteint -grâce au renoncement – l’état suprême, (c’est-à-dire) la liberté à l’égard de l’action (il s’est libéré de l’action). »

  • Celui qui maîtrise ses sens, qui est détaché des désirs matériels, n’agit pas pour son ego, celui-ci est détaché des résultats de l’action, il est l’observateur équanime.

 

Verset 50 : « Apprends de Moi brièvement, Ô Kaunteya, comment l’être ayant atteint la perfection réalise Brahman (l’Eternel), cet état suprême de Connaissance. »

  • Nous n’agissons pas pour nous même mais pour plus grand.

 

Verset 51 : « Celui qui, avec un intellect pur, contrôlant fermement ses sens, délaissant le son et tous les autres objets des sens, et renonçant aux attractions comme aux aversions… »

  • L’être qui maîtrise son mental, en contrôlant ses sens, en mettant à distance les désirs matériels…

 

Verset 52 : « Demeurant dans la solitude, mangeant peu, la parole, le corps et le mental maitrisés, toujours engagé dans la méditation et la concentration, prenant refuge dans le détachement… »

  • Qui est capable de rester en silence, en mangeant le strict nécessaire, maîtrisant sa parole, son mental, pratiquant méditation et concentration, ne cherchant pas à satisfaire des désirs égotiques, se détachant des objets matériels.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 53 à 60 – Gaëtan

Kṛṣṇa vient de décrire l’ascèse qui doit mener le chercheur spirituel vers la réalisation du Soi : recherche de la solitude, maîtrise de la parole, du mental et du corps, tendu vers un idéal dans la conduite de sa vie et dans un esprit de détachement. Il va énumérer à présent les qualités nécessaires à cultiver pour y parvenir.

 

Verset 53 : « Ayant abandonné l’égoïsme, (le recours à) la force, l’arrogance, le désir, la colère et la convoitise, libéré de la notion de possession (mien) et paisible, il est digne de devenir Brahman. »

  • Il ne s’agit pas d’acquérir des qualités mais bien d’abandonner des défauts acquis dans cette vie et dans les précédentes en lien avec nos « vāsanā-s ». Le détachement ne se fait pas dans l’action mais dans l’abandon.
  • Loin d’être une ascèse triste, une mortification, elle nous est présentée comme une libération des chaînes qui nous empêchent de nous atteindre nous-mêmes.

 

Verset 54 : « Devenant Brahman, l’esprit serein (ancré dans le Soi), il ne s’afflige ni ne désire. Équanime envers tous les êtres, il développe une dévotion suprême à Mon égard. »

  • Un esprit fixé sur la réalité du Soi, ne peut plus être perturbé par le Manifesté et s ‘identifie avec l’Idéal une fois qu’il ne s’identifie plus à son corps ou son mental.

 

Verset 55 : « Par la dévotion, il Me connaît en essence, ce que Je suis et qui Je suis. Puis, M’ayant connu dans Mon essence, il entre dans le Suprême (en Cela). »

  • Celui qui s’est abandonné à son intériorité n’est plus le fruit de l’Illusion ; ayant réalisé la nature du Soi il peut désormais se fondre en lui.

 

Verset 56 : « Accomplissant toutes ses actions avec zèle, prenant toujours refuge en Moi, par ma grâce il gagne la Demeure Éternelle et Indestructible. »

  • Kṛṣṇa promet l’éternité à celui qui, ayant réalisé le Soi, n’est plus guidé par l’ego et ses attachements et peut se consacrer à ce qui relève de son svadharma. Il devient son propre refuge puisqu’il ne peut plus être affecté par le Manifesté.

 

Verset 57 : « Me consacrant mentalement toutes tes actions, Me prenant comme but suprême, recourant au yoga de la discrimination, fixe toujours ton esprit en Moi. »

  • Ce verset revient sur les voies que constituent le Buddhi Yoga (voie de l’intellect) et le Karma Yoga (voie de l’action désintéressée). Celui qui recourt à son intelligence supérieure pour discriminer le Vrai du Faux peut reconnaître la voie qui est juste pour lui et s’y engager en gardant le Soi comme guide unique. Il s’agit d’une discipline qui progressivement deviendra une manière de vivre.

 

Verset 58 : « Fixant ton mental en Moi, tu surmonteras par Ma grâce tous les obstacles, mais si à cause de ton égoïsme tu ne M’entends pas, tu périras. »

  • Kṛṣṇa fait une conclusion provisoire à son développement qui vient rappeler les enjeux. Il s’agit d’atteindre le but ultime : sortir du saṃsāra. C’est à cela qu’il se réfère en disant « tu périras ». Il ne s’agit pas de la mort physique qui serait vécue comme une fin définitive mais du fait de devoir continuer le cycle de l’incarnation et ses corollaires, l’Illusion et la souffrance.
  • Pour se purifier, transcender ses vāsanā-s (« surmonter (..) tous les obstacles), Arjuna (« tu ») en avatar de tous les chercheurs spirituels, doit agir en se consacrant au Soi. Cela suppose qu’il puisse « l’entendre » en ne laissant pas l’ego faire barrière.

 

Verset 59 : « Si, empli d’égoïsme, tu te dis : « Je ne combattrai pas », tu prends une résolution vaine. Car la Nature t’y contraindra. »

Verset 60 : « Ô fils de Kunti, lié par ton karma (action) né de ta nature propre, tu seras obligé de faire ce que, par égarement, tu ne veux pas faire. »

  • Sourds aux indications du Soi nous restons victimes de l’Illusion et pouvons prendre de « vaine[s] » décisions. Nous sommes en prise avec les guṇa-s qui teintent notre personnalité tant que nous n’avons pas réalisé le Soi. Ne pas le reconnaître, aller contre notre « Nature » provisoire, alors que la purification des vāsanā-s n’est pas encore faite, revient à perdre son temps, à remettre le travail à plus tard.
  • Il s’agit d’une invitation au courage qui dit en substance : « retourne sur le tapis ! ».

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 61 à 68 – Nadège

Verset 61 : « Le Seigneur réside dans le cœur de tous les êtres, ô Arjuna, les amenant par son Pouvoir d’illusion, à tourner, comme s’ils étaient montés sur une machine. » īśvaraḥ sarvabhūtānāṃ hṛddeśe’rjuna tiṣṭhati / bhrāmayansarvabhūtāni yantrārūḍhāni māyayā 

  • « Le Seigneur réside dans le cœur de tous les êtres » : ici, le Seigneur (Īśvara) fait référence au « contrôleur suprême », la conscience universelle comme mentionné dans divers textes à l’instar du Nyāya-Vaiśeṣika ou du Skanda-Purāṇa, et « Dieu » dans une vision théiste.
  • « Il réside dans le cœur de tous les êtres »: il réside dans notre cœur profond qui permet l’unité, c’est le centre, la conscience.
  • Ici est donné une clef fondamentale : en agissant, en pensant, en parlant avec notre cœur (pas le cœur émotionnel, mais le cœur de l’amour universel), nous sommes dans la Vérité. Cependant pour atteindre cette grande sagesse, il faut cultiver les qualités qui permettent de l’atteindre, la bienveillance, la gentillesse, la joie, la patience, le pardon, etc., ce qui demande de transcender les douleurs, les violences et les souffrances.
  • « les amenant par son Pouvoir d’illusion, à tourner, comme s’ils étaient montés sur une machine » : néanmoins, même si nous sommes conscience pure, nous vivons dans le monde de Prakṛti, le monde phénoménal soumis aux guṇa-s (comme il a été dit précédemment : Verset 40 : « Nul être, sur terre ou au ciel parmi les Deva (êtres célestes), n’est libéré de ces modalités nées de Prakṛti (matière). ») et asservis par cette illusion.
  • Au sein de cette illusion demeure toujours la conscience.

 

Verset 62 : « Elance-toi de tout ton être pour prendre refuge auprès de Lui, ô Bhārata. Par sa Grâce seule, tu obtiendras la Paix suprême et la Demeure éternelle. » tameva śaraṇaṃ gaccha sarvabhāvena bhārata / tatprasādātparāṃ śāntiṃ sthānaṃ prāpsyasi śāśvatam

  • Ce qui est requis ici, c’est l’abandon total. Nous ne pouvons rien espérer du contrôle, de l’ego.
  • C’est encore une clef fondamentale : renoncer à l’ego, ne pas se laisser embarquer par sa puissance de destruction et de séparation. Revenir au Soi, c’est faire unité, embrasser la vie dans toutes ses composantes (qui peuvent être considérées comme positives ou négatives). La vie reste la vie, notre pouvoir est de la vivre au mieux.
  • L’action dans la vie doit être tournée dans l’accomplissement du dharma (instituer l’harmonie, la joie, le partage)
  • Ce n’est que lorsque nous pouvons vivre dans la présence, qu’il est possible d’être en accord avec les principes même de cette vie.
  • Le contentement et la gratitude sont des aptitudes qui doivent être exaltées pour nourrir cette présence.

 

Verset 63 : « Ainsi, Je t’ai révélé la Sagesse, qui est le plus grand de tous les secrets. A présent, après y avoir réfléchi profondément, agis comme tu l’entends. » iti te jñānamākhyātaṃ guhyādguhyataraṃ mayā / vimṛśyaitadaśeṣeṇa yathecchasi tathā kuru

  • « iti » : « J’ai dit tout ce qui était nécessaire » : « Je t’ai révélé la Sagesse, qui est le plus grand de tous les secrets » : le secret des secrets : l’abandon à la Conscience : cependant cela nécessite non seulement un esprit éclairé, mais une pratique constante qui va révéler cette présence en nous. Nous devons polir le diamant qui n’est au départ qu’un caillou grisâtre et cela demande toutes les qualités qui sont mentionnées dans ce grand texte de la Bhagavad-Gītā, la volonté, la constance, le courage….
  • Le terme « guhyām » signifie ésotérique, c’est-à-dire ce qui est caché (le plus grands de tous les secrets). Ce secret est dissimulé au plus profond de notre être.
  • « A présent, après y avoir réfléchi profondément, agis comme tu l’entends » : ici, c’est très intéressant, car Kṛṣṇa ne dit pas « crois moi sur parole et fais ce que je te dis ». Non, il lui demande de s’écouter, de faire le travail introspectif nécessaire pour prendre une décision. Le yoga a toujours pour postulat la liberté et surtout la liberté de pensée. Rien ne peut être positif si la décision vient de l’extérieur. Il est important de garder son libre arbitre et de prendre les décisions en conscience.

 

Verset 64 : «   Ecoute encore Ma parole suprême, la plus secrète de toutes. Tu M’es très cher, et je vais donc te dire ce qui t’es salutaire. » sarvaguhyatamaṃ bhūyaḥ śṛṇu me paramaṃ vacaḥ / iṣṭo’si me dṛḍhamiti tato vakṣyāmi te hitam

  • « Je t’ai révélé la Sagesse, qui est le plus grand de tous les secrets » et « Ecoute encore Ma parole suprême, la plus secrète de toutes » : ce que Kṛṣṇa semble dire ici, c’est que l’humanité lui importe et que cette humanité doit trouver le chemin de la paix. Pour que la transmission, l’explication soient comprises et plus que comprises, intégrées, il faut la répéter sous différentes formes comme pour tous les exercices que proposent le yoga (que ce soient les āsana-s, le prāṇāyama, les méditations, le travail introspectif, etc.)
  • Il n’y a que la constance qui donne un résultat et la bienveillance du « maître » qui rappelle sans cesse l’expression de la sagesse avec douceur, mais aussi persistance.

 

Verset 65 : « Fixe ton mental sur Moi. Sois Mon dévot. Sacrifie-Moi tout. Prosterne-toi devant Moi. Alors sans nul doute, tu viendras à Moi. Je te promets, (car) tu M’es cher. » manmanā bhava madbhakto madyājī māṃ namaskuru / māmevaiṣyasi satyaṃ te pratijāne priyo’si me

  • Ces conseils sont particulièrement importants, car ils permettent (Je te promets) de revenir immanquablement à la conscience :
  • « Fixe ton mental sur Moi », la présence à chaque instant dans la vie, par exemple à travers ājñā cakra.
  • « Sacrifie-Moi tout », ici, il est question de faire les choix en conséquence qui vont amener à abandonner un certain nombre de comportements et surtout, il est question de se défaire de l’ego (les tendances égotiques).
  • « Prosterne-toi devant Moi »: l’humilité est peut-être le plus grand principe de réussite.
  • « Alors sans nul doute, tu viendras à Moi. Je te promets, (car) tu M’es cher » : l’amour permet toutes les réussites. Comme le dit si bien Swami Chinmayananda, il faut une joie inspirée et un amour inconditionnel pour enseigner et susciter l’envie de persévérer sur le chemin de la paix.

 

Verset 66 : « Renonçant à tous les dharma (les destinées des corps, du mental et de l’intellect), prends refuge en Moi seul. Je te libérerai de tout mal (péché). Ne t’afflige pas. »

  • « Renonçant à tous les dharma-s » : Ici, il est question du dharma comme première loi de matérialisation (que l’on retrouve justement comme premier pétale du lotus de mūlādhāra cakra). On s’inscrit dans la vie avec des règles et des lois à suivre. Cependant, il existe un dharma suprême (la loi de l’être) qui est aussi exprimé dans notre cakra racine et qui est au-delà. L’essence même de la vie, qui est « prends refuge en Moi seul ».
  • Abandonné en toute confiance à la Conscience, nous vivons dans le principe fondamental du dharma, en dehors des agitations, des exigences égotiques et tout ce qui crée les perturbations intérieures.
  • Prenant refuge dans cette conscience, tout est libéré : « Je te libérerai de tout mal (péché) » : le terme « péché » peut être mal interprété, car il a pu être dévoyé dans le sens de transgression des impératifs de la religion, alors qu’il signifie littéralement, transgression consciente des lois divines. Cependant dans ce contexte, il n’est pas forcément une transgression consciente, mais des comportements (conscients et inconscients) qui perturbent les équilibres initiaux.
  • « Ne t’afflige pas »: il y a peut-être deux façons de voir les choses avec cette phrase. « Ne t’afflige pas », car ce qui est passé est passé et la prochaine fois, avec cette clarté qui nous est donné dans l’abandon de l’ego et la présence, les choses se feront mieux, mais cela peut aussi vouloir dire comme le suggère Swami Chinmayananda, même en ayant renoncé à l’ego et en restant dans la présence, reste encore l’anxiété de la réalisation finale, de quand et du comment.

 

Verset 67 : « Tu ne dois jamais exposer ceci à celui qui n’a pas pratiqué les austérités ou qui est dénué de dévotion, ni à celui qui est dépourvu de l’esprit de service, ni à celui qui ne désire pas l’entendre, ni à celui qui parle mal de Moi. » idaṃ te nātapaskāya nābhaktāya kadācana / na cāśuśrūṣave vācyaṃ na ca māṃ yo’bhyasūyati

  • Ce qui est dit ici est intéressant, car la transmission ne peut se faire que si la personne en quelque sorte est prête soit à fournir les efforts nécessaires à son cheminement, soit est déjà en chemin et ouverte à la compréhension de la richesse contenue dans les textes.
  • Ce sont des conseils judicieux, car lorsqu’une personne n’est pas prête ou ne veut pas entendre, c’est une forme de violence de lui infliger une transmission dont il ne veut pas ou dont il ne peut rien faire.
  • C’est la raison pour laquelle, cette transmission se fait dans les écoles de yoga avec ceux que cela intéresse.

 

Verset 68 : « Celui qui, avec une dévotion suprême à Mon égard, enseigne ce secret ultime à Mes dévots, sans nul doute viendra à Moi. » ya idaṃ paramaṃ guhyaṃ madbhakteṣvabhidhāsyati / bhaktiṃ mayi parāṃ kṛtvā māmevaiṣyatyasaṃśayaḥ

  • La Bhagavad-Gītā (le chant du Seigneur) est un texte qui se transmet avec les principes fondamentaux de paix, d’amour et de joie. Il se partage avec ceux qui ont cette attirance pour la spiritualité, qui ont envie d’installer au cœur de leur vie, l’harmonie nécessaire à la paix, intérieure et extérieure.
  • La transmission est « réussie » lorsque la personne qui reçoit est capable de la faire vivre.
  • Le questionnement à travers la philosophie et la culture est une composante intrinsèque de ce que nous sommes et la vie nous demande de s’y consacrer et de la partager. C’est une nourriture essentielle pour l’âme.
  • De cette façon, nous sommes sur le « bon » chemin qui va permettre de développer cette communion avec la vie.

 

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 69 à 76 – Chérifa

Verset 69 : « Nul parmi les hommes n’accomplit pour moi un service plus précieux que lui, nul sur terre ne me sera jamais plus cher que lui »

  • Ce verset glorifie la transmission de la connaissance vivante, non comme un acte d’enseignement formel, mais comme le fait de partager ce que l’on a réellement compris et incarné.
  • Kṛṣṇa nous dit, lorsque tu aides un autre être humain à voir plus clair, à se libérer d’un conditionnement, à comprendre la nature de l’action, de l’ego, de la liberté…tu accomplis l’acte le plus proche de la « réalité essentielle ». Parce que la conscience se répand, se reconnaît, s’éveille d’elle-même à travers cet acte.
  • Ce n’est pas un service rendu à un dieu extérieur, c’est un service rendu à la vérité elle-même, à ce qu’il y a de plus profond en chacun.
  • L’être qui partage une compréhension sincère, humble, désintéressée :

-allège la souffrance d’autrui,

-dissout l’ignorance,

-éclaire le chemin,

-aide l’autre à contacter sa propre liberté.

  • Et Kṛṣṇa dit : « un service plus précieux ». Parce que libérer un esprit, même un seul, est un acte qui agit au niveau de la racine, là où toutes les actions prennent naissance.
  • Ce verset enseigne que transmettre la connaissance qui libère, partager une vision juste de l’action, et aider autrui à sortir de l’ignorance intérieure, est l’acte le plus noble, le plus grand, et le plus transformateur. Parce qu’en éveillant un autre être, on réveille en même temps la dimension la plus haute en soi.

 

Verset 70 : « et celui qui étudiera notre dialogue sacré, M’adorera par le sacrifice de la sagesse (Jñāna yajñena). Telle est ma conviction. »

  • Dans ce verset, Kṛṣṇa affirme la valeur de l’étude sincère, (non comme accumulation intellectuelle) comme un acte de présence.
  • L’étude dont il est question ici est une relation vivante, attentive, entre le texte et la conscience de celui qui le lit.
  • Comprendre cette conversation, c’est comprendre la nature de l’action, de l’ego, de la liberté, et donc se comprendre soi-même.
  • L’étude attentive est considérée comme un acte « sacré », parce que voir clairement est un acte de purification.
  • Quand l’étude est sincère, humble, orientée vers la vérité et vécue comme une exploration intérieure alors elle devient un mouvement de la conscience vers elle-même.
  • Ce que la tradition religieuse appelle « adoration » n’est rien d’autre qu’un retour de l’attention vers ce qui est essentiel. Étudier la Bhagavad-Gītā avec profondeur c’est donc tourner l’esprit vers ce qui éclaire, et par là, s’accorder au plus intime de soi.
  • L’étude devient alors une forme de méditation : un éclaircissement progressif, une mise en cohérence intérieure. La vision commence à remplacer l’habitude. La lucidité commence à dissoudre la confusion. Le discernement commence à orienter l’action.

 

Verset 71 : « L’homme qui écoute cela avec foi et sans malice, libéré, atteindra lui aussi les mondes heureux des actions méritoires »

  • Ce verset dit quelque chose de très doux et profond : Même si tu ne comprends pas tout, si tu écoutes avec ouverture, cela te transformera.
  • La Bhagavad-Gītā reconnaît que la compréhension intellectuelle n’est pas la seule voie : il existe une compréhension du cœur, une compréhension intuitive qui vient lorsque l’esprit s’ajuste sur la même fréquence que la vérité, même sans tout saisir par le mental. « Ecouter avec foi » c’est écouter avec confiance, et réceptivité, sans cynisme, sans ironie intérieure, sans jugement défensif, sans chercher des failles ou des contradictions, sans se fermer. C’est avant tout une posture d’ouverture. Cette attitude ouvre la conscience à un niveau plus profond que la simple analyse mentale.
  • La compréhension n’a pas besoin d’être complète, Parce que ce texte agit à plusieurs niveaux : le mental qui réfléchit, Le cœur qui ressent, l’être qui reconnaît spontanément ce qui est vrai, et l’inconscient qui se réorganise au contact d’une vision juste. Même si le mental ne comprend pas tout, les autres niveaux de l’être reçoivent quelque chose qui commence déjà à dissoudre la confusion et l’agitation.
  • « Atteindra lui aussi les mondes heureux des actions méritoires » : ce ne sont pas des lieux, mais des états de perception ;

– un esprit moins troublé,

– une compréhension plus vaste,

– une relation plus harmonieuse à soi,

– moins de conflit intérieur,

– plus de liberté dans l’action.

 

Verset 72 : « As-tu bien écouté cela avec un esprit concentré, Ô fils de Pṛthā (fils de la Terre) ? Est-ce que ta confusion née de ton ignorance a été dissipée, ô Dhanañjaya (celui qui acquiert une grande richesse intérieure par la conquête) ? »

  • Après tout l’enseignement, Kṛṣṇa ne demande pas : « As-tu appris ? », « As-tu mémorisé ? », « Vas-tu obéir ? ».
  • Il demande : «As-tu réellement écouté ? et ta confusion s’est-elle dissipée ? » : c’est une question simple et intime « ô fils de Pṛthā » empli de bienveillance.
  • Tout l’enseignement de Kṛṣṇa est orienté vers une seule transformation : que la vision de l’être humain cesse d’être troublée.
  • L’enseignement n’agit que si l’on écoute avec : présence, ouverture, sincérité, volonté de comprendre, et absence de défense intérieure.
  • « Arjuna » représente la conscience humaine en crise, et « Kṛṣṇa » représente la lucidité profonde, la voix claire de l’être, la conscience universelle.
  • L’illusion, dans la Bhagavad-Gītā n’est pas une tromperie extérieure mais c’est la confusion intérieure qui naît, de l’ego, des conditionnements, des désirs contradictoires, de la peur du résultat, du besoin de contrôle, du refus de ce qui est.
  • Et l’apaisement n’est pas une émotion, c’est la dissipation de la contradiction intérieure. Quand on voit clair, la division en soi s’efface. L’unité revient. La vraie compréhension n’ajoute rien, elle enlève ce qui troublait.

 

Le verset 72 est une invitation, à prendre un moment pour sentir si quelque chose en nous est devenu plus clair, si le poids intérieur s’est allégé, si la confusion s’est dissoute.

 

Verset 73 : « Arjuna dit : mon égarement est détruit. Par ta grâce, j’ai recouvré la mémoire (la connaissance), ô Acyuta (force infaillible) je suis ferme, mes doutes se sont dissipés. J’agirai selon ta parole. »

  • Ce verset marque la résolution finale. Toute la Gītā mène à cet instant : le moment où la vision devient claire.
  • « Mon égarement est détruit » : Arjuna ne dit pas qu’il a appris quelque chose de nouveau. Il dit que ce qui brouillait sa perception a disparu.
  • L’égarement n’est pas ignorance : c’est un mélange de peur, de projection, d’attachement, de culpabilité. Lorsqu’elle se dissipe, on ne devient pas différent : on devient soi-même, avec simplicité.
  • « j’ai recouvré la mémoire »: « Mémoire », ici, ne signifie pas souvenirs. Elle signifie le souvenir de son être, le retour à sa propre lucidité. C’est le rappel de sa responsabilité, sa nature profonde, sa capacité à agir sans être écrasé par le résultat, son alignement intérieur.
  • Quand un être humain retrouve cela, il n’a plus besoin d’être poussé : l’action devient claire d’elle-même.
  • « Je suis ferme »: Arjuna retrouve la fermeté intérieure, qui n’est pas dureté, mais solidité. Une fermeté sans violence, une stabilité sans rigidité, une détermination sans tension. C’est l’état où l’on sait ce que l’on doit faire, et où la peur du regard extérieur n’a plus de prise.
  • « mes doutes se sont dissipés » : c’est-à-dire le doute qui paralyse, celui qui divise l’être en deux directions opposées. Quand le doute disparaît, l’énergie n’est plus dispersée, elle s’oriente. L’action devient possible.
  • « J’agirai selon ta parole » : ce n’est pas obéir. C’est agir depuis la lumière intérieure retrouvée. C’est la phrase d’un homme, qui a dissous sa confusion, retrouvé son discernement, reconnecté à sa force, compris ce qui est juste, cessé de fuir. C’est l’expression d’une autonomie éclairée.

 

Verset 74 ; « Sañjaya dit : ainsi ai-je entendu ce merveilleux dialogue entre Vāsudeva et Pārtha au noble cœur, qui a fait se dresser mes cheveux sur la tête. »

  • Ce verset n’est pas seulement un commentaire narratif. Il porte un sens psychologique subtil, Sañjaya est le témoin en nous ; Arjuna symbolise l’être humain en crise ; Kṛṣṇa est la clarté, la sagesse intérieure.
  • Sañjaya symbolise la fonction de témoin, celle qui observe sans être prise dans l’action. C’est cette part de nous qui regarde ce qui se joue à l’intérieur, qui perçoit les mouvements du mental, les clarifications, les peurs, les résolutions. Sañjaya symbolise la conscience lucide qui voit, « ātman ».
  • « Ce merveilleux dialogue » : Le « merveilleux » ne vient pas du spectaculaire : il vient du fait que la vérité est redevenue visible. Le dialogue intérieur ; entre confusion et lucidité, entre peur et vérité, entre hésitation et résolution, est lui-même une expérience magnifique, lorsqu’on le voit clairement.
  • « Qui a fait se dresser mes cheveux sur la tête »: cette phrase décrit un frisson intérieur, la sensation physique qui accompagne une vérité qui entre pleinement en nous. Quand une compréhension authentique éclaire l’être, cela se ressent dans le corps : un frisson, une expansion, une vibration de justesse. Cela marque un moment où :

– le mental est silencieux,

– le cœur est clair,

– l’être est rassemblé.

C’est le verset de l’émerveillement conscient, le moment où l’on reconnaît, la beauté d’une clarification intérieure.

 

Verset 75 : « Par la grâce de Vyāsa, j’ai entendu ce Yoga suprême et très profond directement de krsna, le seigneur du yoga, qui l’a lui-même enseigné. »

  • Vyāsa symbolise la capacité naturelle de l’esprit humain à organiser, à discerner, à mettre de l’ordre dans le chaos mental. C’est l’intelligence claire, non pas les idées compliquées, mais la faculté intuitive de voir ce qui est essentiel et ce qui ne l’est pas.
  • « Par la grâce de Vyāsa »: grâce à cette lucidité qui met de l’ordre en moi.
  • « J’ai entendu ce Yoga suprême et très profond directement de Kṛṣṇa  » : « Suprême » : ce qui ne dépend de rien. L’échange est dit « suprême » car il touche ce que l’être a de plus profond :

– sens de la vie

– nature du soi

– action juste

– liberté intérieure

– fin de la confusion.

  • C’est une connaissance qui ne dépend pas d’un contexte ou d’une croyance, elle éclaire parce qu’elle vient de l’intérieur.
  • « et très profond »: il est profond parce qu’il se déroule en soi-même, dans un espace intérieur silencieux que l’on n’écoute pas d’habitude.
  • « directement de Kṛṣṇa » : Kṛṣṇa représente la conscience lucide, la part la plus éveillée de nous-mêmes, celle qui sait avant même les mots.

 

On peut traduire la parole de Sañjaya, comme « J’ai entendu directement la voix de la vérité en moi » C’est le dialogue entre la sagesse intérieure et la part de nous qui cherche, vacille, doute. Il est profond simplement parce qu’il est intime. C’est un verset sur la naissance de l’écoute intérieure.

 

Verset 76 : « ô Roi, chaque fois que je me remémore ce dialogue merveilleux et sacré entre Keśava et Arjuna, je m’en réjouis encore et encore. »

  • « Chaque fois que je me remémore »: il ne s’agit pas d’un souvenir au sens mental, mais d’un retour intérieur, une reconnexion. Chaque fois que l’on revisite, une compréhension profonde, une intuition juste, un moment où la conscience s’est éclairée, on ne revit pas « le passé », mais on rouvre le même espace de lucidité. On peut traduire les mots de Sañjaya comme « Chaque fois que je reviens à ce dialogue intérieur, la lumière réapparaît. »
  • « Remémore ce dialogue merveilleux et sacré »: cet échange symbolise le dialogue intérieur entre la sagesse (Kṛṣṇa) et la part humaine qui doute (Arjuna). Il est « merveilleux » non par mysticisme, mais parce qu’il révèle quelque chose que l’on sait depuis toujours sans l’avoir nommé. C’est le moment où tout devient simple.
  • « Je m’en réjouis encore et encore »: la joie évoquée n’est pas euphorique. C’est une joie tranquille, stable, qui vient du sentiment d’être en accord avec soi- même. Elle naît chaque fois que, l’on comprend ce qui nous limite, que l’on s’allège d’un poids mental, que l’on retrouve le centre, que l’on agit depuis la lucidité, et que l’on cesse de lutter contre soi. Cette joie se renouvelle parce qu’elle ne dépend pas d’un objet extérieur : elle dépend de la qualité de présence.

 C’est un verset sur la mémoire vivante de l’éveil intérieur, la compréhension qui continue d’éclairer, même longtemps après.

La Gītā nous enseigne comment être pleinement dans la vie sans être détruit par elle. Comment agir intensément sans s’attacher. Comment être libre au cœur même du monde, sans fuite, sans renoncement extérieur, mais avec une lucidité intérieure inébranlable.

Chapitre 18 – Mokṣa-Yoga – Le Yoga de la Libération et du renoncement – Versets 77 à78 – Gaëtan

Versets 77 et 78 : fin de la Bhagavad-Gītā : Sañjaya à qui Vyāsa a conféré le pouvoir de voir et entendre à distance, Dhṛtarāṣṭra l’ayant refusé (il restera aveugle et sourd jusqu’au bout), témoigne de son ravissement à être témoin du discours de Kṛṣṇa. 

Verset 77 : « Me rappelant sans cesse cette Forme Merveilleuse de Hari (Kṛṣṇa), grand est mon émerveillement, ô Roi. Et je m’en réjouis encore et encore. »

  • Sañjaya fait référence à la Forme Cosmique de Kṛṣṇa décrite au chapitre XI. Il se la rappelle « sans cesse » témoignant de la puissance de la révélation dont il a fait l’objet.
  • « Hari » qui signifie or, jaune ou doré en sanskrit renvoie à Viṣṇu et ses avatars, en l’occurrence Kṛṣṇa.
  • Sañjaya s’adresse à celui qui a refusé de voir, qui écoute mais n’entend pas, qui est Roi mais n’est pas dans le Dharma.
  • Sañjaya, bien que fidèle à Dhṛtarāṣṭra n’en est pas moins transfiguré par ce dont il est témoin et se réjouit « encore et encore » de ce dont il a été témoin ; ce qui témoigne que l’expérience qu’il a vécu est durable.

Il voit venir la défaite des Kauravas comme en atteste le verset final.

Verset 78 : « Là où est Kṛṣṇa, le Seigneur du Yoga, là où est Pārtha, l’archer, règnent prospérité, victoire, bonheur et ligne d’action juste (l’ordre). Telle est ma conviction. »

  • Le 701nième verset conclue la Gītā sur une réconciliation entre l’humanité et la divinité.
  • Arjuna le guerrier mortel effondré qui a perdu tout courage et toute discrimination, qui était sur le point d’abandonner son svadharma, a finalement recouvré sa dignité de prince et renoué avec sa nature de Kṣatriya (guerrier, entrepreneur), il est prêt à reprendre le chemin de l’action juste guidé par le divin en soi, par la spiritualité incarnée par le divin Kṛṣṇa.
  • En tant que « Pārtha » ou fils de Pṛtha (nom original de Kuntī la mère des Pāṇḍavas) il est remis dans sa lignée et son Dharma, dans sa légitimité retrouvée.

La Gītā s’achève sur des mots forts et une formule laconique : « Telle est ma conviction », qui vient clore l’enseignement dont Sañjaya a bénéficié indirectement bien qu’étant dans le camp adverse. Cela comme pour témoigner de la puissance de cet enseignement qui vient transcender les allégeances mortelles, comme une évidence dont seuls les plus éloignés du Dharma, comme le roi Dhṛtarāṣṭra, prisonniers de tamas, ne sont pas prêts à bénéficier.

C’est un message d’espoir, la « victoire » sur l’Illusion et la souffrance, est à venir à qui veut voir et entendre, à qui veut s’engager dans l’action juste en reconnaissant, puis en suivant son dharma avec courage et détermination, dans le renoncement et le détachement, pour accéder à la libération de la réalisation du Soi.

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