sāṅkhya
Le sāṅkhya fait partie d’un ensemble appelé Sat Darśana qui sont six différentes interprétations de la réalité du monde. C’est une sorte de classification sur les différents moyens dont l’être humain dispose pour atteindre la libération (réalisation du Soi).
La philosophie du sāṅkhya est une approche méthodologique qui distingue différents éléments constitutifs de l’univers et la manière dont est expérimentée la vie. Cette représentation permet de comprendre ce que sont réellement les sciences du yoga et de l’āyurvedā et comment tout est en interconnexion.
Quels sont ces éléments ? Le postulat de départ, est qu’il existe un substrat, nommé brahman qui n’a pas de début, ni de fin, qui ne possède aucune qualité et qui réside au cœur de toute chose. De cette essence primordiale sans qualité émerge, puruṣa, la pure conscience éternelle et non manifestée qui comporte, elle, trois qualités de sat, l’absolu, chit, la conscience et ananda, la félicité. D’un point de vue symbolique, puruṣa serait un principe masculin, une force latente. Le reflet de cette pure conscience va donner naissance à tous les éléments existentiels ou « tattva » à commencer par Prakṛti, la source du monde des formes. Le principe étant que tout est énergie qui se manifeste sous des apparences différentes du plus subtil au plus dense. Le sāṅkhya discerne également trois dimensions à l’existence comme le passé, le futur et le présent ainsi que les états de sommeil, d’éveil et de rêve.
Les tattvas : éléments existentiels
Prakṛti est le système qui permet de faire l’expérience du Soi ; il est le potentiel de création associé au principe féminin, actif, la matière primordiale. Sous l’impulsion de Puruṣa, il devient la vie dynamique qui produit des formes à l’infini et englobe les processus physiques et mentaux.
Il n’existe pas de Prakṛti sans puruṣa, ni de puruṣa sans Prakṛti, qui sont donc l’énergie et la conscience qui enfante la puissance de création. C’est une sorte de polarisation de brahman. Tout est sacré, la matérialité tout autant que la conscience.
Ce qui relie puruṣa et Prakṛti est le prāņa. La notion de prāņa ou énergie cosmique fait partie intégrante de puruṣa comme la forme énergétique la plus pure, celle de la conscience. Avec Prakṛti, prāņa devient l’énergie créative, śakti. Cette énergie vitale ou force cosmique est le principe qui soutient toutes les formes de vie. Dans le yoga, il va intervenir sur le plan de la transformation intérieure pour accéder aux capacités supérieures et à l’état de conscience unifiée. Dans l’āyurvedā, il est la puissance qui soutient la santé et la guérison. Il est important de noter que le prāṇāyāma (la science du prāṇa) est utilisé en yoga et en āyurvedā avec les mêmes effets à la fois physique, psychique et spirituel puisque l’être humain est un tout.
Prakṛti possède également trois attributs que sont les guņas, un terme qui signifie « tenir ensemble ». Toutes les apparences de la création se manifestent par l’intermédiaire de ces gunas qui sont les forces fondamentales :
- Sattva : qualité de l’équilibre, de la lumière. Force ascendante.
- Rajas : qualité du mouvement, de l’air. Force de dispersion.
- Tamas : qualité de la stabilité, de la matière. Force descendante.
Ces forces sont en constante interaction pour soutenir toutes les modalités de la vie. Cette notion des gunas permet de comprendre le fonctionnement du monde ainsi que celui de notre nature profonde, mentale, psychologique et spirituelle, car les gunas sont partout et en tout dans des proportions diverses selon les circonstances.
Dans l’équilibre des gunas, Prakṛti va produire le grand principe de mahat, l’intelligence universelle qui se manifeste chez les êtres humains sous forme de buddhi, le discernement, la capacité à faire l’expérience de la conscience. À ce niveau, il n’existe pas de notion de séparation. Dans le « déséquilibre » des gunas, va émerger la notion d’ahamkāra, le processus d’élaboration du « Je », de l’ego. C’est une étape de différentiation avec le Soi (la conscience). La compréhension de cette distanciation est fondamentale dans le yoga et l’āyurvedā pour retrouver l’équilibre originel. ahamkāra est la caractéristique de jīvātman, c’est-à-dire la conscience dans la matière qui perd cette notion de conscience pour prendre place dans l’espace et le temps. Ce concept permet d’expliquer le pourquoi de la souffrance et le sentiment de séparation.
Avec l’ego, l’être humain va être en mesure d’expérimenter le monde des formes. Toutes les facultés qui permettent à une personne de fonctionner vont prendre naissance au niveau d’ahamkāra. Le premier organe de perception et d’intellectualisation est manas, le mental. Le manas est dirigé vers l’extérieur et permet d’appréhender et de traiter les différentes « réalités », notamment à travers les sens. Ce mot manas, fait référence à plusieurs fonctions psychologiques que sont en autre l’inconscient individuel et collectif, la mémoire, les émotions, les conditionnements… finalement « tout ce qui n’est pas libre ».
ahamkāra donne également naissance avec manas à ce qu’on appelle les tanmātras, des potentialités à l’origine de la matière : on pourrait dire des essences subtiles qui vont se structurer en se matérialisant. Au nombre de cinq, elles sont en lien avec l’énergie qui va se décliner de différentes manières dans le monde matériel, notamment sous la forme des cinq éléments (éther, air, feu, eau, terre).
Les tanmātras sont désignés en fonction de leur faculté sensorielle que sont l’ouïe, le toucher, la vue, le goût et l’odorat, mais en réalité, ils sont plus subtils et représentent les germes à l’origine du monde manifesté, ce qu’on appelle le monde causal :
- Le son ou principe de perception de l’ouïe (le principe du son)
- Le toucher ou principe de perception du toucher (le tangible/chaud/froid…)
- La forme ou principe de perception de la vue (couleur et forme)
- La saveur ou principe de perception du goût (saveur)
- L’odeur ou principe de perception de l’odorat (odeur)
Viennent ensuite dans la matérialité les cinq organes des sens (pancha jñānendriyani) ou outils de connaissance : les oreilles, la peau, les yeux, la langue et le nez. Ils permettent de faire l’expérience de la réceptivité et transmettent les perceptions sensibles.
Puis, ce sont les cinq organes moteurs (pancha karmendriyani) ou encore outils d’action expressifs : la bouche (expression), les mains (préhension), les pieds (mouvement), les organes urogénitaux (émanation) et les organes excrétoires (élimination). Ils permettent d’entrer en interaction avec le monde extérieur.
Et enfin, les cinq éléments (pancha mahabhūta) : l’éther (ākāśa), l’air (vāyu), le feu (agni), l’eau (āpas) et la terre (pŗthivī). Ils constituent le monde des formes sous différents aspects, éthérique, gazeux, rayonnant, liquide et solide. Toutes les formes sont constituées par ces cinq éléments dans des proportions différentes pour chacune d’entre elles et créent différentes densités. Au niveau symbolique, l’éther est le concept de l’espace, la connexion, l’expression de soi, la communication. L’air représente le temps, le mouvement, le changement, la vélocité et la pensée. Le feu est en relation avec la lumière, la perception et la transformation. L’eau est le concept de la fluidité, de la cohésion, le substrat de la vie. Quant à l’élément terre, il est en lien avec la structure, la stabilité, la solidité et la résistance au mouvement.
Toutes ces facultés, organes et éléments sont en relation : l’éther avec l’ouïe, les oreilles et la bouche ; l’air avec le toucher, la peau et les mains ; le feu avec la vue, les yeux et les pieds ; l’eau avec le goût, la langue et les organes urogénitaux ; la terre avec l’odorat, le nez et les organes excrétoires.
Le sāṅkhya est la base des connaissances et de la compréhension de notre fonctionnement à la fois dans le yoga et l’āyurvedā et permet de mettre en œuvre des pratiques, des soins … visant conjointement la restauration de l’équilibre et la reconnaissance de notre nature intrinsèque. Toutes nos problématiques étant issues de la non-gestion ou mauvaise gestion d’ahamkāra, l’idée est de revenir à l’état initial de paix et d’équilibre.
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